LES MEMBRES du Comité consultatif national d’éthique (Ccne) ont pour mission de résoudre un questionnement éthique lié à une pratique. Certes, la question de la commercialisation des cellules souches, posée il y a deux ans par le Pr Laurent Degos, directeur de l’institut d’hématologie de l’hôpital Saint-Louis, ne se pose pas encore concrètement. Mais les progrès de la thérapie cellulaire sont tels que cette réflexion intervient «exactement au bon moment», estime l’immunologue Alain Fischer, qui a participé à ce groupe de travail.
Trois questions sous-tendent l’avis n° 93. Peut-on accepter une commercialisation des cellules souches qui ne prendrait en compte que le coût de l’ingénierie et non pas le produit issu du corps ? Peut-on considérer que l’origine embryonnaire des cellules souches, par nature différente des cellules souches adultes et prometteuses de grands espoirs thérapeutiques, modifie le jugement «dans la mesure où la commercialisation comporterait le risque de transformer l’embryon en simple fournisseur de cellules» ? Peut-on considérer qu’à une étape donnée les cellules souches ont changé de nature par rapport à la cellule initiale pour devenir un produit artificiel ? « Nous n’avons pas voulu nous satisfaire d’une bonne conscience éthique», explique le président du Ccne, le Pr Didier Sicard. Dans la mesure où le marché empiète effectivement sur la médecine (les produits stables issus du don de sang sont désormais présents sur le marché international, où la seule exigence française reste celle de la gratuité du sang à l’origine du produit), «nous avons plutôt voulu fixer des balises».
Une commercialisation limitée au procédé.
La première de ces balises, que rappelle la philosophe Monique Canto-Sperber, c’est la non-patrimonialité du corps. En tant qu’éléments du corps humain, les cellules souches ne peuvent pas faire l’objet de commercialisation ou donner lieu à rémunération. «Ce principe n’empêche pas que soient rémunérés, d’une part, les actes qui précèdent, entourent ou suivent des prélèvements de cellules et, d’autre part, les diverses utilisations dont le produit transformé pourrait être l’objet», ajoute le rapporteur de l’avis.
Pour les membres du Ccne, la question d’une éventuelle commercialisation du produit – qui a suffisamment été modifié pour perdre «les caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles de la cellule» – devrait être soumise à une agence comme l’Agence de la biomédecine en France. A ce stade, le produit modifié pourrait faire l’objet d’une commercialisation «limitée à la brevetabilité du procédé». Le fait que les cellules soient d’origine embryonnaire ne fait pas exception aux recommandations du comité, même si ce point n’a pas recueilli la majorité de ses membres. Afin d’éviter les dérives commerciales au détriment de la santé publique et de l’accès aux soins, il est nécessaire d’élaborer des règles d’attribution des brevets «strictes et restreintes», souligne Monique Canto-Sperber. Par ailleurs, le donneur «doit pouvoir influer sur l’utilisation de ses cellules», proposent les sages.
«Cet avis met en lumière l’extrême complexité d’une question où valeurs éthiques, principes juridiques et économiques s’affrontent et se résolvent de façon différente selon les pays», prévient Didier Sicard. L’un des remparts les plus sûrs à tout dérapage serait de sensibiliser les acteurs de la recherche à une réflexion «sur le rôle majeur qu’ils peuvent jouer dans la régulation de la dimension éthique du marché en choisissant les modalités de mise à disposition des applications de leurs recherches», répond Jean-Claude Ameisen, membre du Ccne et également président du comité d’éthique de l’Inserm. Et de citer des exemples, comme la décision des chercheurs du Human Genome Project de publier toutes les séquences de gènes sans prendre de brevet, ou celle de créer des publications scientifiques biomédicales de haut niveau d’accès gratuit, ce qui change les données d’un marché jusque-là uniquement composé de journaux vendant très cher les résultats de la recherche publique.
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