LA VISITE DE M. POUTINE en Israël ne lui coûte pas cher : il s'est contenté de mettre fin à un demi-siècle d'un ostracisme stalinien d'où l'antisémitisme n'était pas absent. Juste avant de se rendre à Jérusalem, le président russe avait conclu un accord avec la Syrie pour lui livrer des missiles de courte portée qui, en cas de conflit, pourrait gêner Israël. Il va vendre également des blindés aux Palestiniens. Son message, en gros, est le suivant : « Je vous rends service en venant, ce qui ne m'empêche pas de vendre mes armes à vos risques et périls. »
Le gouvernement israélien a décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Dans un monde où il rencontre une hostilité passionnelle, il cultive méticuleusement tous les rapprochements possibles avec les pays étrangers. Sans cacher son inquiétude, Ariel Sharon a donc dit que les ventes de missiles à Damas ne représentaient pas une menace pour Israël (pieux mensonge) et il a remercié la Russie pour le rôle essentiel que ses troupes ont joué dans la libération des camps de la mort en 1945.
M. Poutine, de son côté, a proposé de convoquer une grande conférence internationale sur le Proche-Orient à Moscou. On ne voit pas ce qu'elle pourrait apporter au processus de paix, mais on devine que l'idée est destinée à renforcer le prestige de la Russie, qui aspire à un statut international mieux reconnu.
Un raccourci.
Les dirigeants israéliens, qui n'aiment pas beaucoup la répétition des initiatives diplomatiques (Tony Blair a eu la sienne peu avant d'annoncer des élections anticipées), ont réservé un accueil poli à la proposition de M. Poutine. Ils ont rejeté le projet de conférence internationale à Moscou. Mais, pour lui donner un gage, ils ont souscrit ardemment à la nécessité de lutter par tous les moyens contre le terrorisme.
Bien entendu, quand M. Poutine parle de « terrorisme », il pense aux Tchétchènes, alors que les Israéliens pensent aux extrémistes palestiniens. Le raccourci est un peu rapide, dans la mesure où les deux crises sont complètement différentes. Le président russe est aidé dans sa tâche par la collusion du mouvement de libération de la Tchétchénie, avec les éléments étrangers les plus fanatiques, ceux-là mêmes qui ont déclenché le massacre de Beslan. Mais M. Poutine a amplement démontré qu'il est prêt à sacrifier ses concitoyens, à Moscou ou à Beslan, pourvu qu'il parvienne à liquider les assassins.
Le maître du Kremlin poursuit donc une politique qui, n'étant encombrée d'aucun scrupule, l'autorise à avancer plusieurs pions à la fois. Contre le géant pétrolier Youkos, il a mis en œuvre un programme de démantèlement qui a permis à l'Etat russe d'arracher ses biens à un oligarque, Mikhaïl Khodorkovski.
Lequel est en prison pour longtemps, mais M. Poutine aurait pu tout aussi bien, s'il avait la moindre mansuétude, l'expédier en Israël, refuge de quelques anciens oligarques russes, et juifs. Dans la foulée, M. Poutine n'a pas hésité à « rassurer » les investisseurs étrangers, et notamment américains, sur l'intérêt qu'il y a à placer des fonds en Russie, ce paradis où une justice aux ordres jette au cachot les hommes d'affaires et les dépouille de leurs avoirs au profit de l'Etat.
ON NE COMPREND PAS POURQUOI UN CHEF D'ETAT DEVRAIT PRÉFÉRER LA FORCE AU DROIT ET L'AUTORITARISME À LA DÉMOCRATIE
Une « catastrophe géopolitique ».
L'Etat, dont M. Poutine a une idée très élevée, puisqu'il a récemment exprimé ses regrets sur le démantèlement de l'Urss, qu'il considère comme une « catastrophe géopolitique ». Il y a des oreilles russes très attentives à ce genre de discours. Beaucoup de Russes, appauvris par une révolution capitaliste sans queue ni tête, se souviennent avec émotion du « bon temps », de cette époque où l'Etat leur donnait, sinon la liberté, les moyens d'une vie décente. Il demeure que l'Urss ne s'est pas effondrée parce qu'elle aurait été victime d'un complot de l'Otan ou de l'Amérique. Son système était à bout de souffle et rien ne pouvait le réanimer.
M. Poutine croit néanmoins à l'utilité de la force en toute circonstance, qu'il s'agisse de remettre de l'ordre en Tchétchénie, où il a fait assassiner le seul leader susceptible d'ouvrir avec lui des négociations, ou de mettre au pas tous ceux qui défient son autorité en Russie même, où la presse libre a disparu.
Ses récents revers devraient pourtant le faire réfléchir : en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan, des régimes autoritaires ont été renversés par le peuple en un rien de temps. Et tout Matamore qu'il soit, M. Poutine ne se serait pas risqué à ouvrir trois fronts supplémentaires sans perdre tout son crédit. Il aurait dû, en conséquence, en tirer la leçon, et admettre que la force a ses limites. Bien entendu, il ne l'a pas fait et on sait bien pourquoi : il ne voit pas sans inquiétude l'ancien empire soviétique tomber en morceaux. Or il croit profondément à la vocation historique que son élection lui aurait conférée et à son devoir de rendre à la Russie sa grandeur d'antan. Il a aussi la responsabilité du maintien de l'ordre dans une région du monde où l'aspiration à la liberté a pour corollaire un désordre extrême.
Il demeure qu'on ne comprend jamais, quand on y réfléchit, pourquoi un chef d'Etat devrait préférer la répression à la libération, l'autoritarisme à la démocratie, la violence au dialogue, la force brute au droit. M. Poutine a été élu. Il avait donc un mandat du peuple. Il pouvait lutter contre les oligarchies avec des moyens transparents, et les plus vives critiques de la presse ou de la télévision n'auraient pas nécessairement entamé sa popularité.
Quant au blocage mental qui l'empêche de raisonner intelligemment sur la Tchétchénie, il vient sans doute de la paranoïa qu'entretient la chute des morceaux de l'empire, qui prennent le large avec le soutien de l'Amérique. Rien n'est simple.
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