LES MÉDECINS n'ont pas moins participé que les autres professionnels au débat passionné qui a précédé le référendum. « Le Quotidien du Médecin » a largement parcouru le dossier, dans ses pages professionnelles et dans cette rubrique, ce qui lui a valu de nombreuses réactions. Nous avions déjà publié un sondage (1) qui montrait qu'une forte majorité du corps médical (60 %) voterait « oui » le 29 mai. Majorité qu'on ne retrouve guère dans les sondages réalisés auprès du grand public.
L'auteur de ces lignes a pris clairement position en faveur du « oui ». La minorité de médecins favorable au « non » lui a donc apporté la contradiction. Par exemple, le Dr Jacques Costagliola, de Versailles, nous écrit : « Il est méprisable de ridiculiser le "oui" ou le "non". On fait un référendum pour interroger le peuple, pas pour lui dicter une réponse. » Le Dr Costagliola se livre ensuite à une intéressante analyse, presque point par point, du traité, que nous ne pouvons pas publier ici. Mais il soulève un point qui n'est nullement négligeable sur la forme du débat : méritait-il plus de sérénité ?
Un « oui » abusif de toute façon.
Notre correspondant affiche effectivement une attitude calme et pragmatique. Il n'en va pas de même pour quelques rares partisans du « non » qui se sont hâtés de dénoncer « l'outrance » ou le « dérapage » de nos propos ; d'autres se sont exclamés : « Mais enfin, le choix de la réponse est-il entre "oui" et "oui" ?
A ceux-là, il n'est pas difficile de répondre. Il nous semble que s'ils ont découvert quelque excès dans nos articles, c'est probablement parce que leur intolérance au « oui » est telle que tout article favorable devient de facto abusif. La meilleure preuve en est constituée par les nombreuses lettres de médecins qui croient au contraire que nous avons traité le débat européen avec bon sens et modération. Donc l'outrance perçue par les uns correspond au pragmatisme perçu par les autres.
Quant à ceux qui caricaturent notre position (« oui » et « oui »), il est facile de répondre que le choix n'est pas non plus entre « non » et « non ». D'un point de vue purement psychologique, le phénomène est extrêmement intéressant : les « non » se voient encore comme une minorité, comme les plus faibles et les plus marginaux, alors que les sondages prouvent qu'ils représentent la majorité. Ils croient donc devoir bénéficier des avantages accordés à l'outsider et semblent penser que les « non » doivent leur parler calmement chaque fois qu'eux-mêmes les accablent de sarcasmes. On ne défend pas un point de vue avec un plumeau, il faut y mettre un peu de vigueur, pourvu qu'elle ne se transforme pas en imprécation. Il ne nous semble pas que nous ayons franchi une ligne rouge et de nombreux lecteurs en témoignent.
Un malentendu.
Le Dr Xavier Boniface, dont nous avons publié récemment une lettre intitulée « Un non d'espoir » (2), a développé son idée dans ce qui nous semble bien être ce qu'on appelle un « blog », et où il défend vaillamment le « non ». Il est aussi de ceux qui croient déceler quelque stridence dans nos articles. Il faut lever un malentendu : nos commentaires s'adressent aux dirigeants politiques, aux partis, pas aux citoyens qui votent « non » et sont libres de le faire. Un lecteur nous écrit : « Je ne suis ni communiste, ni trotskiste, ni chevènementiste, ni lepéniste, et pourtant je vote "non". » D'abord, il y a des « non » à droite et à gauche, comme ce médecin, conseiller municipal UMP en banlieue parisienne, qui nous suit avec assiduité mais votera « non ». Ensuite, ce n'est pas insulter le choix du « non » que de décrire la machinerie politique d'un parti qui veut faire voter « non ».
Une responsabilité.
Cependant, là où les « non » semblent ignorer leur responsabilité, c'est lorsqu'ils apportent leur eau au moulin d'un certain nombre de mouvements extrémistes. La comparaison avec le premier tour de la présidentielle de 2002 reste valable. Un lecteur de Neuilly-sur-Seine, le Dr Jacques Peyron, nous écrit à ce sujet : « Lors d'un débat contradictoire sur TF1, M. Le Pen et Mme Buffet ont été très clairs. Le premier a dit et répété que l'Europe est désastreuse pour la France et qu'il n'en veut à aucun prix. La seconde a expliqué que, pour évoluer comme elle le souhaite, la France doit s'isoler complètement de l'Europe. Ce rejet de l'Europe par les hérauts du "non" est une puissante confirmation pour les partisans du "oui". L'Europe est la seule idée neuve en politique depuis cent ans. Elle seule permet de tourner enfin le dos au honteux XXe siècle, sinistré par les idéologies mortifères des fanatismes nationalistes et des turannies communistes souvent complices. »
À LA QUESTION, LA RÉPONSE N'EST CERTES PAS « OUI » OU « OUI ». ELLE N'EST PAS NON PLUS « NON » OU « NON »
Avec d'autres mots, nous avons écrit exactement la même chose ; c'est donc peu dire que nous partageons le point de vue du Dr Peyron.
Ce qu'affirme aussi le Dr Claude Chiaverini : « Il n'y a rien à ajouter sur l'analyse, non plus que sur les conclusions de votre article (3) concernant l'étrange coalition du "non", sinon enregistrer la maigre consolation du fait que les accouplements contre nature n'auraient d'avenir politique ni dans le pays ni a fortiori au plan international. Il faut sans doute accorder moins d'importance aux programmes des partis ultraminoritaires qu'aux électeurs qui répondent actuellement à leurs appels : 52 % dépassent largement le nombre de leurs sympathisants. Ce fort taux traduit le rassemblement de la France des 35 heures et de l'assistance généralisée au moindre effort dont vos analyses précédentes ont montré la nuisance. On peut voir dans les outrances de cette coalition la peur panique d'un changement possible des habitudes. Plus stimulante que l'étude du traité constitutionnel, cette perspective, à elle seule, suffit à mobiliser pour la victoire du "oui". »
Parler vrai.
Le Dr Michel Anger explore la même idée, celle qui rapproche le « non » de la crise sociale en France : « Pour une fois, écrit-il, les médias devraient parler vrai et dire aux Français que, si le non va l'emporter, c'est que nos gouvernants se sont couchés devant les syndicats et la rue. Si on avait fait les réformes qui s'imposaient (Cf. Tony Blair), le pays serait prospère et on ne se poserait pas la question de savoir si le "oui" va l'emporter. »
L'un de nos correspondants réguliers, qui n'est pas médecin, Jacques-Martin Berne, écrit : « Nous sommes non seulement en plein mensonge social, nous sommes aussi en plein délire idéologique, soutenu par la pensée magique qui consiste à croire que dire le contraire des partisans du "oui" donnera la fessée aux capitalistes et chassera les libéraux du pouvoir. »
Assurément, il y a une très forte dimension sociale au « non » qui s'annonce. Le Dr Pierre Pichon, de Dijon, s'en tient pour sa part à l'analyse politique et revient sur la coalition des « non ». Il écrit : « Quand j'ai des doutes, je regarde les plus ardents défenseurs du "non", Le Pen, le PC, Villiers, Pasqua, Chevènement, qui ont toujours été contre la construction européenne. Besancenot, Laguiller, Bové, qui sont toujours contre tout, sauf la chienlit. Et enfin Fabius qui, tel Grippeminaud le bon apôtre, n'hésite pas à s'appuyer sur cette armée hétéroclite pour s'emparer du Parti socialiste. Qui donc d'entre ceux-là aura une voix crédible pour imposer un plan B à des gens avides de liberté ? »
Il nous semble donc que, en dépit d'un certain nombre de lecteurs qui ont un avis opposé au nôtre, ce qui est à la fois licite et compréhensible, la plupart s'identifient à notre propre engagement. Nous les respectons tous et pouvons l'affirmer avec une très grande sincérité car nous dépendons d'eux. Il demeure que notre position sur l'Europe coïncide avec la majorité de nos lecteurs, telle que l'indiquait notre sondage et que la décrit un nombre de lettres favorables infiniment supérieur aux lettres défavorables.
Certes, nous n'avons pas reproduit les salves d'injures ou les lettres anonymes ; mais elles ont été très rares et ne représentent en aucune manière un fragment du corps médical.
Ce qui restera de ce débat, c'est le résultat du référendum. Nous rappelons que, pour ce qui nous concerne, nous avons parlé des graves conséquences du « non », jamais d'apocalypse ou de désastre. Nous croyons en tout cas que le « non » affaiblira la France, qu'elle soit de droite ou de gauche. Et que tous ceux qui, dans la classe politique, ont pris la responsabilité de défendre le « non » sont moins pardonnables que les citoyens lambda qui voteront « non ».
(1) « Le Quotidien » du 15 avril 2005.
(2) « Le Quotidien » du 4 avril 2005.
(3) « Le Quotidien » du 23 mai 2005.
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