Le dossier pharmaceutique (DP) est mis en œuvre par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens. Mis historiquement à la disposition des pharmaciens d’officines, il sécurise la dispensation des médicaments aux patients. À cette fin, son exploitation est soumise à l’utilisation conjointe de la carte de professionnel de santé (CPS) du pharmacien et de la carte Vitale. Le respect des droits des patients est donc acquis.
Concrètement, le DP facilite le repérage des redondances et/ou les interactions indésirables entre les traitements. Il améliore le conseil du pharmacien et permet de proposer à certains patients un suivi thérapeutique.
Derrière cet objectif, se confine celui du bon usage du médicament. À cela vient s’ajouter la diffusion d’alertes sanitaires en temps réel à l’ensemble des officines. En fait, le DP relaie l’ensemble des alertes « DGS Urgent » sanitaires au sein du poste de travail du pharmacien. L’information reçue permet de mieux conseiller la population concernée.
Pour aller plus loin dans l’utilisation de cette brique garante du bon usage du médicament, il s’est avéré nécessaire de l’ouvrir à l’hôpital avec, en toile de fond, la volonté de créer un continuum en la matière avec la ville. En fait, la coordination entre pharmaciens d’officines va progressivement prendre en compte les pharmacies à usage intérieur (PUI) des établissements de soins.
Cette extension est conduite dans le cadre d’une expérimentation de neuf mois menée en synergie avec la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS). Elle s’inscrit dans le cadre de la délibération de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) du 6 mai 2010, qui autorise l’utilisation expérimentale du DP dans les PUI. Le périmètre retenu porte sur les médicaments dits de rétrocession dispensés par les pharmaciens hospitaliers aux patients ambulatoires. Dix départements sont concernés dans les bassins de vie de Lorraine et de Méditerranée, puis Paris et le Val-de-Marne.
Au centre hospitalier d’Hyères, dans le Var, qui a été retenu pour l’expérimentation du fait notamment de la maturité de son système d'information, les tests ont débuté l’an dernier. L’établissement a dû, d’entrée de jeu, régler certaines difficultés informatiques : il a fallu installer le logiciel de gestion du circuit du médicament Génois et l’interfacer avec le logiciel et le serveur du DP. En complément, il était nécessaire de tester l’utilisation des cartes CPS et Vitale dans ce dispositif, deux composants exploités pour sécuriser les transactions. Ces préalables technologiques réglés, l’établissement est passé à la réalisation pratique. À ce jour, on compte vingt-quatre dossiers ouverts, ce qui est peu. Comment expliquer un tel manque d’intérêt ?
Un manque d’intérêt
« Nos patients concernés par la PUI souffrent souvent de déficit immunitaire et confient dans ce cas l’acquisition de leurs médicaments à des prestataires de services ; ils ne souhaitent donc pas ouvrir de DP. D’autres sont atteints de pathologies graves et rechignent à cautionner l’ouverture d’un DP pour des raisons de confidentialité. Pourtant, ce dispositif est totalement sécurisé », constate, Anne Loisel-Holay, responsable de la pharmacie. En fait, un travail d’information et de communication est nécessaire pour susciter l’adhésion d’une population d’utilisateurs qui a pourtant besoin d’une bonne traçabilité médicamenteuse. Si Anne Loisel-Holay déplore cette situation, elle va plus loin dans les causes du désintérêt du DP au sein du CH de Hyères. Selon elle, le fait d’avoir limité le fonctionnement du DP à la seule pharmacie réduit également son écho au sein de l’hôpital. « Il gagnerait à être ouvert à tous les praticiens », conclut-elle.
Au CHR de Metz Thionville, l’expérimentation n’est guère plus avancée. Elle devait démarrer l'an dernier, mais a toutefois été freinée par des difficultés avant tout techniques : « Nous sommes confrontés à un problème de transfert de données entre le logiciel de gestion de l’officine, en l’occurrence Pharma, et le dossier pharmaceutique. Depuis six mois, nous travaillons à la levée de ces dysfonctionnements. En fait, l’avancée de notre expérimentation est suspendue aux résultats de ces travaux », explique Bernard Gustin, pharmacien. Cette officine qui gère 55 millions d’euros de médicaments espère profiter de l’expérimentation pour être à même d’aborder la réconciliation des données médicamenteuses des officines de ville avec celles de la pharmacie de l’hôpital. Seulement voilà, les neuf mois accordés par la Cnil pour les tests vont arriver à échéance. En clair, il faudra probablement attendre le prochain feu vert de cet organisme pour profiter des atouts du DP.
Des difficultés techniques et/ou technologiques
Qu'en est-il du Centre hospitalier de Lunéville, autre site impliqué dans cette phase pilote ? L'établissement a intégré ce projet d’expérimentation en juin 2010. Le déploiement opérationnel n’a pas encore démarré pour des raisons technologiques. « Pour notre établissement et nos équipes, le dossier pharmaceutique dans son expérimentation actuelle permet de concrétiser un projet entre la ville et l’hôpital, apportant une prise en charge sécurisée au patient lors de l’acte de dispensation. Il s’agit d’une évolution logique et naturelle. Elle nécessite toutefois l’intégration aux systèmes d’informations de notre établissement, qui doivent évoluer », estime le Dr David Piney, praticien hospitalier. La brique informatique à faire évoluer est le logiciel de dossier patient informatisé de Prismedica qui intègre la dispensation du médicament. L’établissement attend de son partenaire une nouvelle version apte à s’interfacer avec le DP. D’autres logiciels sont utilisés par la pharmacie à usage intérieur : Image Pharma pour le circuit interne de prescription, dispensation, administration et Orbis pour la gestion économique et financière des produits de santé. En somme, « le schéma directeur du SIH doit être le plus avancé pour intégrer les différentes dimensions du service pharmaceutique », indique le praticien. Pour le CH de Lunéville, ce projet est très important, car il s’inscrit dans le prolongement d’une expérimentation conduite, il y a peu, dans le cadre du projet MedRec, initié par l’OMS. Cet établissement a été le premier site français à plancher sur ce chantier exploratoire dédié à la conciliation des traitements médicamenteux. Il permet de travailler sur les liaisons ville-hôpital. « Nous en avons profité pour intégrer les protocoles de l’OMS. Une équipe ad hoc a été mise en place au sein de l’établissement pour identifier les médicaments qu’un patient prend à son domicile avant son entrée au sein de l’hôpital, et en tenir compte dans le traitement qui lui est proposé », indique le praticien. Compte tenu des délais impartis pour l’expérimentation, le CH de Lunéville espère bénéficier de la solution technique simplifiée, dite mode Fast, pour accéder au DP. Cette approche que pourrait leur proposer l’ordre des pharmaciens dans le cadre d’une éventuelle nouvelle phase expérimentale soumise à l’accord de la Cnil, permet une connexion au DP via un simple navigateur Web. L’expérimentation du DP pourrait alors être étendue à d’autres secteurs d’activité de l’établissement : urgences, consultations de pré-anesthésie.
Attentisme et manque d’information
Au CH de Fréjus-Saint Raphaël, l’ambiance est également à l’attentisme sur ce dossier. La pharmacie attend une nouvelle version du logiciel Pharma, en l’occurrence la 4.5, pour avancer. « Nous avons pensé le faire ces derniers mois, ce qui n’a pas été le cas. Pourtant, nous espérons beaucoup du DP : une connaissance de l’ensemble des traitements du patient, la maîtrise des interactions médicamenteuses, une bonne éducation thérapeutique des patients, etc. Bref, notre attente est grande », indique Flora Roudière, pharmacienne.
Enfin, le CHU de Nice n’est guère mieux loti dans cette expérimentation qu’il entend pourtant conduire à son terme et passer à une exploitation en grandeur nature. Il faudra franchir plusieurs obstacles. La technologie en est un. Il se décline à travers le changement du logiciel des rétrocessions, dans un contexte multisite : complexe. Du coup, pour gérer le DP au quotidien, il faut des compétences logicielles aguerries, ce qui n’est pas toujours le cas. D’autre part, la population visée n’est pas au fait de l’existence du DP. Un travail de communication et de sensibilisation reste à effectuer. Sur 900 personnes reçues à l’officine, seules trois étaient au courant de cette innovation.
On le voit, à la progression fulgurante du DP en ville s’oppose sa montée en puissance poussive dans les hôpitaux. Au-delà des difficultés technologiques, il est nécessaire d’informer et de sensibiliser les patients, notamment en dehors des grandes villes. Quoi qu’il en soit, le volet DP semble largement plus avancé que le DMP qu’il est appelé à alimenter dans les prochains mois.
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