CE FUT comme une obsession. Il l’a peinte à près de 90 reprises, comme on peindrait inlassablement la femme aimée, la muse inspiratrice. La montagne Sainte-Victoire fut l’égérie de Cézanne, son emblème, le modèle qui lui permit de résoudre les problèmes picturaux qu’il se posait. On découvre des vues de cette montagne magique et majestueuse dans la dernière salle de l’exposition, en guise de bouquet final.
Avant cela, l’éblouissante rétrospective du musée Granet, récemment restauré et agrandi, propose une sélection de toiles regroupées par thème (85 peintures et 32 aquarelles au total). Elles ont toutes été conçues par Cézanne dans la région d’Aix et reviennent dans leur berceau, prêtées par d’illustres collections publiques et privées (la capitale historique de la Provence ne possède pas de toiles du peintre).
On y découvre les instants paisibles saisis par Cézanne dans le Jas de Bouffan, la belle propriété familiale entourée d’un parc, mais également des toiles plus sombres comme les natures mortes aux crânes, ou bien les sentiers et les villages qu’emprunta infatigablement le peintre, ainsi que les jeux d’horizontales (viaduc, routes) et de verticales (bâtiments, usines) que lui offrait l’Estaque, ou bien le chemin de Bibemus et ses passages ombragés au milieu des arbres et des rochers, et le mystérieux Château noir, objet de nombreuses légendes. On y voit encore des toiles que le peintre réalisa dans son atelier de la colline des Lauves, baigné de lumière et entouré de verdure, plusieurs Grandes Baigneuses, où les «courbes des femmes se marient aux épaules des collines», et des aquarelles raffinées, dans lesquelles on perçoit les prémices de l’abstraction.
La nature recréée.
Tout aspire à l’équilibre, à la sérénité, à la grandeur. Mais, à la différence des peintres classiques, Cézanne désirait représenter la nature telle qu’il la voyait, selon sa propre sensibilité, en retranscrivant ses impressions directes et non conformément à un idéal antique avec son cortège de codes et de règles. Sur le motif, immergé dans la montagne, les collines, les plateaux, les forêts de hêtres, de pins ou de chênes, la terre rouge, les massifs calcaires et les cailloutis, le peintre représentait des formes, des masses et des volumes imbriqués les uns dans les autres, selon différents points de vue, sans se soucier de la perspective, en y renonçant même parfois.
Les tons lumineux de sa peinture sont d’une exceptionnelle pureté. Les ombres teintées de couleurs telluriques dégagent de profonds reflets. La palette est assurée et intense. La lumière, dont le peintre aimait saisir toutes les variations, s’affirme avec une rare énergie. La clarté et l’harmonie inondent toute cette oeuvre puissante qui allait déterminer l’évolution de l’art.
En sortant de l’exposition, on est pris d’une envie : se rendre immédiatement sur les lieux mythiques peints par Cézanne, au pont des Trois-Sautets, sous lequel passe une jolie rivière, à Puyloubier, le village accroché à la montagne, sur la route du Tholonet, en haut du mont de Cengle, près des bastides de Bellevue, sur les bords de l’Arc et jusqu’au golfe de Marseille... Ce pèlerinage vers les paysages superbes qui inspirèrent le peintre n’a pas qu’un intérêt anecdotique. Il permet de prendre la mesure du génie de Paul Cézanne, qui recréa la nature, qui traversa la nature comme on traverse le miroir.
« Cézanne en Provence », musée Granet (tél. 04.42.52.88.32), jusqu’au 17 septembre. A lire : « Cézanne », par Bernard Fauconnier (Folio, 271 p., 6,40 euros) ; « le Journal de Cézanne » (Hazan, « Guide des arts », 27 euros) ; catalogue (coédition RMN/musée Granet-Communauté du pays d’Aix avec la National Gallery of Art, Washington, 45 euros).
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