De notre correspondante
à New York
LA DREPANOCYTOSE est, comme on le sait, une maladie héréditaire causée par une mutation homozygote dans un gène, celui de la bêtaglobine, avec pour résultat une homozygotie pour une hémoglobine anormale (dite S). Cela provoque une déformation des globules rouges (en faucille) et une hémolyse chronique qui se manifeste par des crises douloureuses et des troubles vaso-occlusifs.
Bien que cette maladie soit monogénique, son phénotype est cependant complexe, avec une évolution très variable, allant d'une mort précoce dans l'enfance à une affection quasiment non reconnue.
Un accident vasculaire cérébral affecte de 6 à 8 % des patients affectés de drépanocytose, et cette complication sévère potentiellement fatale survient le plus souvent avant l'âge de 20 ans.
Le risque d'AVC est actuellement dépisté chez les enfants en examinant le flux sanguin cérébral par Doppler transcrânien. Cet examen est cependant de faible valeur prédictive, puisque seulement 10 % des enfants avec un Doppler transcrânien anormal feront un AVC dans l'année suivante, tandis qu'un AVC surviendra chez près de 20 % des enfants ayant un examen normal.
Des méthodes pronostiques plus fiables pourraient permettre de cibler l'administration de traitements prophylactiques (transfusion ou hydroxyurée) aux patients à risque.
Une étude, dirigée par les Drs Paola Sebastiani (Boston University School of Public Health) et Marco Ramoni (Harvard Medical School), procure maintenant une méthode prédictive fiable du risque d'AVC chez ces patients.
En considérant que des gènes modificateurs pourraient interagir de façon à déterminer la susceptibilité à l'AVC chez les patients affectés de drépanocytose, les chercheurs se sont attachés à identifier ces gènes.
Pour cela, ils ont choisi 80 gènes candidats (intervenant dans la vasorégulation, l'inflammation, l'adhésion cellulaire, la coagulation, l'hémostase, la prolifération cellulaire, la biologie oxydative et dans d'autres fonctions) et ont analysé dans ces gènes 108 polymorphismes mononucléotidique (SNP) chez 1 398 patients afro-américains affectés de drépanocytose. Quatre-vingt-douze d'entre eux avaient eu un AVC (patients-cas) et 1 306 n'avaient pas eu d'AVC (patients-témoins). Ces patients avaient été enrôlés entre 1978 et 1988 à travers les Etats-Unis, puis suivis dans la Cooperative Study of Sickle Disease.
Cependant, pour disséquer la base génétique d'un trait complexe, il faut démêler le réseau d'interactions entre les gènes, l'environnement et le phénotype.
Les chercheurs ont donc employé des modèles de dépendance multivariée, appelés réseaux Bayesian, afin de capturer les interactions entre les multiples gènes et les facteurs cliniques qui influencent le risque d'AVC.
« Nous avons découvert que 31 polymorphismes (SNP) dans 12 gènes interagissent avec l'hémoglobine fœtale pour moduler le risque d'AVC », rapportent les chercheurs, qui ont ensuite validé ce modèle dans une autre population de 114 patients affectés de drépanocytose, dont 7 ayant eu un AVC et 107 exempts d'AVC.
Exactitude : 98,2 %.
Ce modèle leur a permis de prédire correctement la survenue d'un AVC chez les sept patients, et la non-survenue d'un AVC chez 105 des 107 patients, soit une prédiction du risque d'AVC avec 98,2 % d'exactitude.
Cette étude pourrait en outre avoir des répercussions pour prédire le risque d'AVC dans la population générale. « La présence parmi les facteurs de risque, de gènes déjà associés à l'AVC, comme le gène SELP et deux gènes dans la voie du TGF-bêta, suggère que certains facteurs génétiques prédisposant à l'AVC sont partagés par les patients affectés de drépanocytose et les victimes d'AVC dans la population générale », remarquent les chercheurs. « Notre modèle pourrait donc offrir des éclaircissements sur la base génétique de l'AVC, la troisième cause de décès aux Etats-Unis. »
Ainsi, comme l'explique au « Quotidien » le Dr Ramoni, les implications sont triples. Cette étude permet de mieux comprendre la base génétique de l'AVC (quels gènes opèrent ensemble pour conférer un risque accru) chez les patients affectés de drépanocytose.
Ce modèle pourrait donc permettre de prédire précocement le risque d'AVC chez les patients affectés de drépanocytose, de façon à prendre des mesures préventives individuelles.
Dans le futur, il sera intéressant d'évaluer si ce profil génétique, ou une partie de ce profil, permet de prédire l'AVC dans la population générale.
Enfin, souligne le Dr Ramoni, « l'un des aspects les plus intéressants de ce travail est que, pour la première fois, un profil multigénique a été identifié pour expliquer un trait complexe. Pour cela, nous avons utilisé une nouvelle technologie, née à l'intersection de l'intelligence artificielle et des statistiques, appelée réseaux Bayesian ».
« Nature Genetics », 20 mars 2005, DOI : 10.1038/ng1533.
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