TOUT LE MONDE n’a pas nécessairement mesuré l’événement si l’on en juge par des réactions qui, souvent, ratent l’essentiel, c’est-à-dire le tournant « historique ». Il est même désolant que, après avoir couvert Ségolène Royal de sarcasmes pendant sa campagne, on n’ait pas attendu les résultats définitifs du scrutin pour émettre, aussi bien à droite qu’à gauche, des doutes sur l’avenir immédiat de la candidate intronisée par les socialistes. Comme si le moment n’était pas assez fort pour que l’on y réfléchisse le temps d’un week-end et que les commentateurs du monde politique ou de la presse devaient impérativement administrer la preuve de leur perspicacité en promettant à Mme Royal des lendemains difficiles.
Un parcours fulgurant.
A ce jeu-là, d’ailleurs, on n’est guère prophète, ni dans son pays ni ailleurs, car toutes les campagnes électorales sont harassantes. Mme Royal, qui vient de subir un tir de barrage de ses adversaires socialistes, devra maintenant se coltiner les poids lourds de la droite.
Mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, une femme française vient de terminer un parcours politique à la fois remarquable et fulgurant. On n’a pas besoin d’être suisse pour admirer Roger Federer, pas plus qu’on n’a besoin d’être socialiste pour reconnaître que la technique de conquête du PS, et peut-être du pouvoir, telle que Ségolène Royal la met en oeuvre, est éblouissante.
On a d’abord dit qu’elle finirait par ravaler son ambition et se ranger derrière son mari (pardon, son compagnon) comme toute bonne épouse. Il en est à annoncer le triomphe de Madame, comme le muezzin appelle à la prière.
Puis, on a dénoncé haut et fort la « démocratie d’opinion ». Celui qui méprisait le plus les sondages et qui a quitté la course sans même avoir commencé à courir, c’est Lionel Jospin. Qu’elle ait ainsi battu, sans même avoir à lever le petit doigt, le plus expérimenté et le plus respecté des socialistes, n’était-ce pas un tour de force ?
Ensuite, Ségolène a pris une trempe avant la campagne : les vannes n’ont pas manqué, de Claude Allègre, jospiniste jusqu’à en devenir extrêmement méchant, à la très sèche Martine Aubry, qui n’en finit pas de défendre ces 35 heures à propos desquelles elle s’estime calomniée, et qui n’hésite pas à discréditer sa petite camarade en remarquant qu’une candidature à la présidence, «ce n’est pas un problème de mensurations», remarque curieusement sexiste d’une probable féministe. Pour autant, la cote de Mme Royale a à peine varié.
Pour couronner le tout, Ségolène a commis des erreurs assez sérieuses : elle a raconté des sornettes sur la défense et le nucléaire, ses jurys citoyens ne valent pas tripette, elle a renoncé à faire surveiller les voyous par l’armée, elle n’a rien compris à la Turquie... bref, dans tous ces domaines, ce sont Michèle Alliot-Marie et Nicolas Sarkozy qui l’ont remise en place. Elle a quand même gagné.
Une image post-bobo.
Pourquoi ? Parce que c’est une femme et que, dans une classe politique imprégnée de sexisme, une telle ambition, une telle assurance, assorties d’un tel sang-froid chez une femme, ont été pris par le public comme autant de signes avant-coureurs de son succès ultérieur. Parce qu’elle a dit et répété qu’elle incarnait le changement, sans jamais préciser, même pas dans le discours qu’elle a prononcé après son investiture, en quoi il consiste. Parce qu’elle a une image, de jeunesse, de mère de famille, d’« ordre juste », de bourgeoise et presque de pasionaria à la fois ; une image post-bobo (bourgeois-bohème), le nec plus ultra de la nouveauté. L’image, en l’occurrence, a servi de programme. On dira ce qu’on voudra de cette manière de bousculer la démocratie, mais enfin, personne ne niera que des jeunes qui venaient d’adhérer au PS sont allés voter en sachant qu’ils devraient s’acquitter auparavant de leurs cotisations. Et en plus, elle fait rentrer des sous dans les caisses du parti !
Elle nous fait penser à Jimmy Carter, obscur gouverneur de Géorgie, qui a été élu président des Etats-Unis en 1976. Assurément, il n’a pas laissé un souvenir impérissable. Mais, comme lui, Ségolène a su arriver à la tête de la gauche en partant de presque rien, sinon une carrière politique assez bonne. Déjà, quand elle avait pris le fief d’un Premier ministre aux élections régionales, on aurait dû se douter que ce succès tout à fait extraordinaire lui donnerait des ailes.
Alors, on dira : mais en Poitou-Charentes, elle a bénéficié d’un mouvement général de défiance à l’égard de la droite au pouvoir. Certes. Et qu’est-ce que la politique, sinon la capacité à saisir l’occasion historique ? C’est la déconfiture de la majorité depuis cinq ans qui a convaincu Mme Royal de prendre la direction de son propre camp, parce qu’elle a compris que c’est aujourd’hui et maintenant qu’elle a une chance d’entrer à l’Elysée.
Que les ténors de la droite ne nous disent pas le contraire ; que Nicolas Sarkozy ne nous dise pas que Ségolène ou Dominique ou Laurent, c’est pareil. Depuis 2002, la majorité a accumulé beaucoup de revers, elle est même un peu accablée par ses échecs, électoraux ou de société. Un autre candidat socialiste aurait eu une très bonne chance. Mais le fait, nouveau, que la gauche soit une femme, augmente encore cette chance.
Il nous semble que le seul qui puisse tenir tête à Mme Royal, peut-être l’emporter contre elle, peut-être pas, c’est Nicolas Sarkozy. Il nous semble qu’une autre candidature, Jacques Chirac ou Dominique de Villepin, est vouée à la débâcle. Alors, Michèle Alliot-Marie ? L’ambition de la ministre de la Défense est parfaitement légitime, mais elle a déjà un handicap, celui d’arriver après, ce qui pourrait passer pour une astuce peu convaincante (une femme contre une femme). Avant d’en arriver là, l’UMP, si elle a un peu de bon sens, devrait ne pas minimiser la difficulté de la tâche et ne se poser qu’une question : qui peut arrêter Ségolène dans sa course ?
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