Entretien avec Marie-Hélène Bertocchio*

« Le système de santé doit être rendu à ses agents »

Publié le 20/12/2010
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Décision Santé. Comment améliorer notre système de santé ?

Marie-Hélène Bertocchio. Il faudrait commencer par faire en sorte que les gens qui ont la compétence puissent l’exercer. Que les pouvoirs ne soient pas concentrés sur les technocrates. Il est normal que les patrons demandent d’atteindre des objectifs, mais qu’ils nous laissent faire notre métier. Ce n’est pas à un directeur financier de dire au pharmacien ce qu’il a à faire. La loi HPST tente de donner le pouvoir à ceux qui ont les compétences. Le problème, c’est que comme d’habitude, on est uniquement dans des jeux de pouvoir et pas du tout dans une construction cohérente d’un système de santé qualitatif et efficient.

D. S. Vous pensez à l’organisation de l’hôpital ?

M.-H. B. Aujourd’hui, si vous voulez vous faire faire une implantologie par exemple, vous ne pouvez pas le faire dans le public, parce que les hôpitaux n’ont pas les moyens de vous prendre en charge dans un temps raisonnable. Donc les chirurgiens vont exercer dans le privé. Et je les comprends. On se retrouve avec d’un côté des professionnels de santé qui n’ont pas les moyens de travailler correctement et de l’autre tout l’appareil technocratique dont l’objectif semble être de tout faire pour que les choses ne fonctionnent pas.

D. S. Qui mène la danse ?

M.-H. B. Aujourd’hui, les médecins n’ont plus de vrais pouvoirs, les directeurs sont pris en otage par les personnels. A vrai dire, ce sont les personnels infirmiers qui organisent l’hôpital et qui font tourner la boutique. Encore faut-il qu’ils puissent le faire dans de bonnes conditions. Le rapport Igas sur la mort à l’hôpital à la suite du décès du petit Iliès est intéressant. Mais à aucun moment il n’est noté qu’il faudrait former les infirmières à lire les étiquettes. Si on inscrivait une formation à la qualité en L1 pour les infirmières, ce serait une réelle avancée. Aujourd’hui, les infirmières sont à ce point sous pression qu’il y a des catastrophes, d’autant qu’on ne leur a pas donné les fondamentaux. Le système de santé doit être rendu à ses agents. On doit arrêter de faire semblant de faire de la qualité.

D. S. Que dire des textes de lois en santé ?

M.-H. B. Les lois sont ce qu’elles sont, et elles ne sont pas mauvaises, mais le problème c’est qu’elles ne sont pas appliquées. Quand on a pris une bonne décision, la machine réglementaire qui suit est récupérée par le pouvoir administratif. Au final, les décrets font constamment machine arrière par rapport à la loi. Je pense qu’il manque de juristes au ministère de la Santé. Il ne faut pas des techniciens formés à l’Ecole nationale de santé publique, il faut des juristes qui ont fait une fac de droit.

D. S. Que penser de l’offre de soins libérale ?

M.-H. B. En médecine de ville, il y a une telle démotivation. Individuellement, les médecins ont l’air perdu. Avant quand vous étiez médecin, vous étiez un notable et vous aviez la reconnaissance des gens que vous sauviez. Aujourd’hui, vous êtes traité comme un technicien supérieur. Or, un technicien supérieur, ça prend ses RTT. Je comprends donc que les médecins libéraux lèvent le pied. On est dans une société qui ne reconnaît plus la compétence. Il faudrait aussi arrêter de sélectionner les médecins avec des QCM, c’est ridicule. Mais c’est un problème sociétal et je ne sais pas comment faire machine arrière. Il faudrait rendre aux gens leur confiance professionnelle.

D. S. Comment assainir les comptes de la Sécurité sociale ?

M.-H. B. Pour commencer, il y a beaucoup trop de gabegie sur l’absentéisme. C’est un état d’esprit de notre société, là aussi. Et puis il faudrait se décider à contrôler les dépenses hospitalières. Les hôpitaux sont tenus d’avoir une comptabilité analytique. On se plongerait là-dedans et sur les systèmes d’information hospitalière, on économiserait beaucoup d’argent.

D. S. En résumé, les remèdes pour pérenniser notre système de santé ?

M.-H. B. Faites appliquer les textes, donnez les moyens aux instances de contrôle de faire leur travail, laissez les professionnels de santé s’occuper de leurs malades. Que chacun reste à sa place et fasse ce pour quoi il est payé.

* Pharmacienne au centre hospitalier Montperrin à Aix-en-Provence et trésorière du SNPHPU (Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires).
Propos recueillis par Sandra Serrepuy

Source : Décision Santé: 270