A plus d’un titre, on peut dire que la culture du paradoxe ne s’est jamais mieux portée qu’en 2010. Avec une nuance, la prime systématique donnée aux nouvelles négatives, au dénigrement, voire au mépris du camp adverse. Et, force est de constater que le monde de la santé illustre cette réalité de façon caricaturale.
Dans le secteur médico-social et professionnel, tout d’abord. Osons dire que des chantiers nécessaires ont été ouverts et que certaines avancées ont été enregistrées (mise en place des ARS, ONDAM à l’équilibre…). Mais très vite, les acteurs du changement, c’est à dire les professionnels de santé, sont poussés à la grogne par des décrets qui trainent, des conflits d’intérêts, des procès d’intention, une absence de financement réaliste des réformes et, in fine, par ce qui semble bien être l’inaptitude française au consensus. De la permanence des soins à la DPC (enfant encore immature de la FMC obligatoire et de l’EPP), on pourrait multiplier les exemples.
La situation est peut-être encore plus caricaturale dans le domaine de la recherche biomédicale, sinon plus nouvelle. La lecture de ce numéro "Bilan du Quotidien du Médecin" nous montre que des avancées importantes ont été enregistrées en recherche fondamentale et recherche appliquée. Cela va des recherches très pointues (greffes de trachée, rétine artificielle recréant la vision) à la médecine « courante » : nouveaux vaccins, efforts pour faire bénéficier les enfants du progrès thérapeutique, recherche foisonnante en cancérologie et en diabétologie, notamment… Au plan politique, des initiatives heureuses ont été prises pour accroître l’attractivité de la recherche biomédicale et pharmaceutique et le mur qui sépare recherche fondamentale et appliquée, recherche publique et privée, commence à se lézarder, ici ou là.
La lecture de ce numéro fournit pleins d’exemples positifs de cette réalité. Mais cette dernière est bien cachée par une multitude de clichés et de procès qui pourraient conduire nos confrères et nos concitoyens à penser que le progrès est une donnée plus que relative et qu’il est peut-être plus dangereux de se soigner - que de ne rien faire. Tout cela sur un fond de dénigrement et de mépris.
En effet, à ceux qui se complaisent à pourfendre la « stérilité » d’une recherche publique qui n’aurait d’autre but que de dilapider l’argent du contribuable répond le stéréotype d’une industrie privée qui crée de fausses maladies pour vendre de faux médicaments, en utilisant tous les moyens de la corruption et de la prévarication.
Et dans la logique du « tous pourris », on égratigne les Pouvoirs Publics accusés au mieux de négligence, au pire de complicité. Ces mêmes Pouvoirs Public qui multiplient les taxes, les déremboursements, les diminutions de remboursements. Ces mêmes tutelles qui ont une définition de plus en plus exigeante du SMR et ASMR et qui ne se bousculent pas pour faire rembourser les vraies innovations, comme les anti-thrombotiques par exemple… Quelle complicité !
Qu’on nous comprenne bien, il ne s’agit pas ici de nier la nécessaire liberté de la presse et le besoin de transparence de l’ensemble de la société française. Oui mais cela ne doit pas conduire à la caricature, au conte pour enfant qui finit mal car les « méchants » finissent toujours par l’emporter. En effet, de tels excès ne peuvent conduire qu’au cynisme et plus encore au nihilisme, en l’occurrence thérapeutique.
Sans oublier les conséquences pour une médecine générale que les discours officiels placent « au centre de tout » et qui se voit progressivement privée d’arsenal thérapeutique : des déremboursements aux génériques et des innovations jugées de plus en plus souvent « très, très relatives » (pour des raisons comptables plus que médicales parfois) aux procès de « vieux médicaments » prescrits depuis des années (Di-Antalvic). D’ici à ce qu’on accuse les médecins de complicité d’assassinat !
Enfin et surtout on risque de conduire le grand public à relativiser, voire à nier les immenses progrès thérapeutiques des 40 dernières années. Si l’on en arrive là, les grandes campagnes sanitaires, et l’éducation thérapeutique ne serviront pas à grand chose.
Certains jugeront cet éditorial caricatural et ils auront en partie raison. Mais la situation que nous vivons ne l’est-elle pas caricaturale ? Après des années où l’on a certes fait des surpromesses en tous genres, n’est-on pas revenu à une anti-médecine primaire ? Et si oui, peut-on prétendre que cela servira la Santé Publique, la Recherche et la santé des Français à qui on demande de plus en plus de mettre la main à la poche ?
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