La médecine égyptienne fut dès le IVe millénaire avant notre ère, une science précise et infiniment organisée. Les Grecs anciens avaient ainsi la plus grande considération pour ces praticiens de la vallée du Nil qui donnèrent à la science médicale ses premières lettres de noblesse.
« Dans ce pays, chacun est médecin, le plus habile du monde »
Ainsi, Hérodote, le « Père de l’histoire », visitant le royaume des deux terres vers 45 av. J.-C., s’émerveillait de leur système de soins parfaitement huilé : « En Égypte, chaque médecin ne soigne qu’une seule maladie. Aussi sont-ils légion : il y en a pour les yeux, d’autres pour la tête, les dents, le ventre, et même les maladies non localisées ». Homère, à son tour, écrivit dans le quatrième chant de l'Odyssée que « dans ce pays, chacun est médecin, le plus habile du monde». Diodore de Sicile, quant à lui, écrivait à leur propos : « Ils établissent le traitement des malades d'après des préceptes écrits, rigides et transmis par un grand nombre d'anciens médecins célèbres. Si, en suivant les préceptes du livre sacré, ils ne parviennent pas à sauver le malade, ils sont déclarés innocents et exempts de tout reproche. S’ils agissent contrairement aux préceptes écrits, ils peuvent être accusés et condamnés à mort ; le législateur ayant pensé que peu de gens trouveraient une méthode curative meilleure que celle observée depuis si longtemps et établie par les meilleurs hommes de l'art. »
[[asset:image:6501 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Les Grecs anciens comparèrent même le mortel égyptien Imhotep à Esculape, leur propre dieu de la médecine. Imhotep, qui vécut vers 2600 ans avant notre ère. était le conseiller, l'architecte et le médecin du roi Djoser et fut notamment le maître d'ouvrage de la pyramide à degrés de Saqqarah. 2 000 ans après sa mort, il était encore vénéré dans tout le bassin méditerranéen comme un dieu : les malades égyptiens se rendaient ainsi en pèlerinage au temple d'Imhotep à Memphis ou sur l'île de Philae.
Des médecins formés dans les « maisons de vie »
Le système de soins des anciens égyptiens constituait un véritable service public. Tout dépendait du temple et de la « maison de vie » qui formait non seulement les scribes mais aussi les médecins et les prêtres. À l’intérieur des temples étaient aménagés des espaces de soins, nommés « sanatorium » où se trouvait des baignoires remplies d’eau sacrée permettant l’immersion des malades. Dans certains temples, des bâtiments portaient le nom de « mammisi », abusivement traduit en « maternité » par la suite,car en Égypte antique, l’accouchement s’effectuait toujours à domicile. Ce système de soins auquel on pouvait accéder en tout lieu et à tout moment était entièrement gratuit pour les indigents.
Le premier médecin du monde dont on ait gardé trace de son existence est attribué à l'Égypte antique. Il avait pour nom Hesyre et était chef des dentistes et des médecins du roi Djéser au XXVIIe siècle. Peseshet (-2400) fut, pour sa part, la première médecin de sexe féminin de l’histoire : elle est peut-être la mère de Akhethotep, et sur une stèle qui lui est dédiée dans sa tombe, elle est désignée comme imy-r swnwt, c’est-à-dire la « surveillante des femmes médecins ».
Il y avait beaucoup de catégories et de spécialisation parmi les médecins. Les rois avaient leur propre praticien et même leurs propres spécialistes. On dénombrait ainsi des médecins inspecteurs, superviseurs et des médecins en chef. Les spécialistes connus des Égyptiens étaient les ophtalmologistes, les gastro-entérologues, les proctologues, les dentistes, le médecin qui supervisait les bouchers et un inspecteur des liquides dont le rôle n’est pas précisé. L'ancien terme égyptien pour proctologue, « neru phuyt », est traduit littéralement par « berger de l'anus ».
[[asset:image:6506 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]La formation des médecins, en Égypte antique, se déroulait dans la structure dépendante du temple, appelée « maison de vie ». Le recrutement s’opérait après une période d'observation pour les jeunes élèves, et également, plus tard, pour les médecins grecs qui venaient compléter leur bagage en Égypte. Cette formation pouvait durer dix ans et reposait sur le couple maître-apprenti. Les principales maisons de vie se trouvent toujours à l’ombre des grands temples: entre autres, à Héliopolis, Saïs, Memphis, Thèbes… Les élèves y étaient traités à la dure : l’adage «l’oreille du garçon est sur son dos, il écoute quand on le bat » justifie l’emploi fréquent du bâton ! Cependant, pour toutes les catégories de thérapeutes, qu’ils soient prêtres-médecins, «médecins aux pieds nus» ou magiciens-rebouteux, la religion demeure toujours omniprésente dans l’approche de la maladie.
Trois types de thérapeutes
Le papyrus Edwin Smith (conservé à New York) mentionne trois types de thérapeutes :
Le « sinou » qui exerçait auprès des classes les plus populaires, tirait ses connaissances des livres et de sa propre expérience. Ils débutaient leur pratique en étant médecins itinérants : le soignant va vers le malade, et en ne soignant qu'une seule catégorie de malade. Seul le médecin de grande expérience reconnue est « généraliste ». Après une période itinérante, le sounou peut postuler pour entrer dans un centre de soins ou exercer à domicile.
Le « ouabou », qui exerçait auprès des classes supérieures, tenait ses pouvoirs de guérison des dieux. Sa médecine était donc à forte contenance religieuse. Il délivrait sa science uniquement dans le temple. C’était spécifiquement le médecin de la déesse Sekhmet, la déesse de la guérison et de Pharaon, le représentant du divin sur terre.
Enfin, le « Saou » était à la fois magicien, rebouteux et sorcier. Il luttait contre les forces du mal qui étaient responsables des maladies inexpliquées. Il soignait ses patients par le biais d’incantations, de formules magiques, de statuettes et d’amulettes guérisseuses.
[[asset:image:6511 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Une forme de spécialisation existait donc déjà et chaque partie du corps ou presque avait son médecin. Il y en avait aussi pour l'esprit, pour les femmes, les hommes, les enfants, sans parler des médecins qui officiaient de façon différente selon les saisons. On a retrouvé les traces de « médecins de l'œil » qui opéraient de la cataracte, et de « médecins des femmes » qui faisaient réaliser des tests diagnostiques de grossesse avec pronostic du sexe de l'enfant à venir. Pour cela, ils faisaient uriner les femmes sur des grains de blé et d'orge. Si ces grains germaient grâce aux hormones contenues dans les urines, c'est que la femme était enceinte.
Une médecine bien codifiée
L'organisation de la médecine est réglementée depuis Imhotep, comme l'atteste une inscription sur un mur à Saqqarah, avec des règles éthiques bien définies codifiant la profession : lieu d'installation des centres de soins, surveillance de ces centres, contrôle de l'activité des sinous, estimation du service rendu, action disciplinaire... Le corps médical bénéficiait d'une assez grande considération. Il ne percevait pas d'honoraires, mais une rémunération fixe sous forme de nourriture ou de vêtements.
L'examen du patient comportait l'inspection, la palpation, la percussion, la prise du pouls et peut-être l'auscultation selon l'interprétation que l'on donne à ce passage du papyrus d'Ebers composé et écrit vers 1550 avant Jésus-Christ: "l'oreille entend ce qui est au-dessous."
Les procédés d'exploration étaient réduits.
Dans la plupart des cas les Égyptiens ne considéraient que le symptôme.
- La première proposition était d'ordre clinique (troubles fonctionnels ressentis par le malade ou signes constatés par le médecin). La seconde indiquait un diagnostic et la troisième annonçait un pronostic.
Des connaissances physiologiques élémentaires
Les connaissances anatomiques et physiologiques étaient assez élémentaires, la dissection étant inconnue. Les renseignements dont disposaient les médecins leur étaient apportés par les apprentis chargés de pratiquer l'éviscération et l'embaumement des défunts. L'existence de vertèbres, d'organes thoraco-abdominaux, de muscles, de tendons et de nerfs, du cerveau et du liquide céphalo-rachidien était connue.
Pour les Égyptiens les poumons semblent tenir un rôle plus vital que le foie et ils avaient entrevu la place du cœur et des vaisseaux dans la circulation sanguine. Ils considéraient aussi le pouls comme « l'endroit où le cœur parle. »
Les médecins égyptiens imaginèrent, comme principe de leur physiologie, un réseau de vaisseaux analogue aux canaux d'irrigation du Nil . Partant du cœur les « met » (conduits) irriguaient toutes les parties de l'organisme. et assuraient aussi l'acheminement des « oukhedou », éléments pathogènes et facteurs de douleurs qui étaient la cause de fièvres malignes et des inflammations. Ils s'introduisaient dans l'organisme en se glissant par le nez et par les oreilles.
À la mort de l'individu, sa partie spirituelle, le « Ba », se détache du corps et peut errer à son gré.
Les méthodes thérapeutiques
Les méthodes thérapeutiques utilisées par les anciens Égyptiens étaien simples, multiples et variées. Des plus empiriques, elles obéissaient néanmoins à un code éthique. La chirurgie peut ainsi être considérée comme un héritage de la momification. Les médecins égyptiens tiraient surtout leurs connaissances anatomiques de la dissection des animaux et des autopsies opérées sur les blessés de guerre. Les Égyptiens possédaient une certaine connaissance sur la physiologie : ce sont eux qui ont découvert le pouls !
Cependant ils avaient une connaissance très réduite sur les reins et pensaient que le cœur centralisait tous les liquides du corps : le sang, les larmes, l’urine mais aussi le sperme !
Les ophtalmologistes égyptiens ignoraient probablement tout de la composition interne de l’œil : le nerf optique, la rétine, le cristallin… Mais, il apparaît qu’ils connaissaient de nombreuses maladies telles que le leucome, l’hémorragie sous-conjectivale, la blépharite ciliaire, l’orgelet… Un certain nombre de vases ayant contenu des collyres ont été retrouvés et leur analyse révèle des traces de miel, de foie, de graisse d’oie, de feuilles de lotus, de ricin, safran…
[[asset:image:6531 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Certaines thérapeutiques étaient répugnantes, faisant appel aux excréments: fiente de mouche, urine de quadrupède, pénis d'âne ou encore farine pourrie, eau souillée; vulve de chienne, utérus de chatte, D’autres étaient étranges à base de sang de crocodile, poil de babouin, queue de truie, chair de lézard ou infusion de scorpion... D’autres substances d'origine animale étaient utilisées par tradition, souvent comme excipient : lait de femme ayant accouché d'un garçon, bile, graisse de porc ou d'oie, miel, lait, mais aussi le foie, la bile, la cervelle et le sang d'animaux divers.Les substances d'origine minérale étaient aussi largement usitées : chaux, sel de plomb ou d'antimoine, sel marin, sulfate de cuivre, oxyde de cuivre et de fer, poudre de lapis-lazuli, sulfure d'arsenic.
700 potions pour se soigner
Dans chaque foyer égyptien se trouvaient des médicaments pour soigner les blessures de la vie quotidienne : brûlures, piqûres, morsures… Selon le papyrus Ebers, ils disposaient de près de 700 potions à base de substance telles que le miel, l’urine de certains animaux, le lait, les herbes médicinales, l’huile de ricin. Ces remèdes étaient utilisés de diverses manières en fonction du mal à soigner : la voie orale pour traiter le mal de gorge et le tube digestif, les fumigations pour les voies respiratoires. Les lavements, les collyres, les cataplasmes et les suppositoires constituaient d’autres formes d’administration.
La figue noire servait à soigner les infections des bronches et des poumons. Les feuilles de menthes permettaient de soigner les troubles gastriques. Elles étaient aussi utilisées pour ses vertus énergétiques tout le papyrus. Le pavot à opium servait d’antidouleur et de somnifères. Les épis de blé servaient à soigner les problèmes de peau appliqués sous forme de pâtes ou d’onguents.
[[asset:image:6521 {"mode":"small","align":"center","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]][[asset:image:6516 {"mode":"small","align":"center","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Les modes d'administration étaient ingénieux: tisanes, potions, mélanges homogènes, baumes, pommades, collyres à l'aide d'une « plume de vautour », emplâtres, fumigations, injections vaginales, lavements. Le médicament à ingérer était incorporé avec du lait, de la bière douce, du vin de datte, du miel.
Les soins dentaires apportés par les médecins égyptiens sont nombreux en raison de la présence de grains de sable microscopiques dans la farine provoquant l’usure de l’émail dentaire. Les dents étaient soignées à l’aide d’un ciment minéral (ou d’une résine végétale) appliqué sur la dent infectée. Les gencives étaient également soignées et une dent tombée était remplacée par une dent en or.
La contraception était également en vigueur au temps des pharaons mais n’était pas couramment utilisée dans la vie quotidienne. Seules les prostituées, les jeunes femmes célibataires et les femmes mariées dont l’accouchement présentait un risque majeur pour leur vie avaient recours aux moyens contraceptifs. Le papyrus de Kahun n recense ainsi la manière dont les femmes égyptiennes avaient recours à la contraception : elles inséraient dans leur vagin des tampons faits à partir d’excréments de crocodile et de pâte fermentée afin de créer un environnement hostile aux spermatozoïdes. Des tampons faits à base de gomme, de miel et de sirop de dattes étaient également utilisés. Ces remèdes pouvaient être administrés par voie orale ou utilisés comme purgatifs afin de provoquer une expulsion vaginale.
[[asset:image:6536 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]
Des pansements à base de viande ou de miel...
Les médecins égyptiens appliquaient souvent d’abord un morceau de viande fraîche sur la plaie afin de calmer la douleur mais aussi par croyance. Car selon eux, la chair d’un animal récemment tué était encore imprégnée de vie. Ensuite ils appliquaient sur la plaie un pansement préparé à base de miel pour ses vertus antiseptiques. Ou encore de graisse ou de cire d’abeille pour leurs vertus adoucissantes afin d’éviter l’adhérence du pansement sur la plaie. Des bandelettes très serrées assuraient le maintien du pansement sur la plaie. Des attelles rembourrées étaient couramment utilisées.
[[asset:image:6526 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]On sait par ailleurs que les Égyptiens pratiquaient des interventions chirurgicales, qu'ils ouvraient les tumeurs, qu'ils opéraient la circoncision et la castration, qu’ils réduisaient les fractures et savaient les contenir régulièrement. En revanche, il est fort, douteux que les médecins de l’Égypte antique aient pratiqué des amputations de membres.
La médecine égyptienne a sans nul doute influencé les Grecs, enrichissant abondamment leur science médicale. On pourrait dresser une longue liste des substances et des formules dont l'emploi a été transféré d'un pays à l'autre. Comme l’affirme le Dr Liétard, qui fut, au début du XXe siècle, l’un des premiers à se pencher sur la médecine des pharaons « la médecine égyptienne, telle que nous la connaissons , tout en restant, au point de vue doctrinal, dépourvue d'un vrai caractère scientifique, si elle ne justifie pas l'admiration exagérée que quelques-uns lui ont accordée sans raison, présente un grand intérêt historique. La vieille science égyptienne survécut encore longtemps comme médecine populaire, quand le pays eut perdu son indépendance, mais son histoire scientifique fut absorbée par celle de la science grecque à l'édifice de laquelle elle apporta quelques éléments secondaires ».
Lire aussi 10 000 ans de médecine (1) ; les chirurgiens de l'âge de pierre
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