Thomas Luba, 35 ans, a dû débourser la moitié de son salaire mensuel – soit dix fois le montant habituel – pour payer sa dernière dialyse rénale. Le pays est confronté à une pénurie de médicaments provoquée par des sanctions qui empêchent les bateaux européens d’approvisionner les ports ivoiriens. « Je devrais normalement recevoir deux traitements par semaine », a-t-il dit à l’agence de presse humanitaire Integrated Regional Information Network (Irin) depuis le centre hospitalier universitaire de Treichville, à Abidjan, la capitale commerciale. « Mais depuis le début du mois de mars, je ne peux en obtenir qu’un seul ; l’hôpital est confronté à des difficultés et pratique des tarifs plus élevés [25 000 francs CFA (54 dollars) au lieu de 2 500 francs CFA]. Il se peut que j’en meure. »
Embargo sur les médicaments
Des employés d'hôpitaux et de pharmacies ont déclaré que de nombreux médicaments et d’autres fournitures médicales étaient devenus rares à la suite de l’embargo sur les ports ivoiriens, décrété il y a plusieurs semaines par l’Union européenne (UE). Environ 90 % des fournitures médicales du pays viennent d’Europe, et 80 % arrivent par voie maritime, a indiqué Christine Adjobi, ministre de la Santé dans le cabinet du président sortant, Laurent Gbagbo. « Nous allons bientôt devoir cesser de pratiquer des interventions chirurgicales dans nos hôpitaux », a ajouté Rachel Duncan, directrice générale de la Pharmacie de la santé publique (PSP) de Côte d’Ivoire, qui s’occupe de redistribuer les médicaments et les fournitures. Elle a ajouté que la PSP ne disposait que de 40 % de ses stocks habituels. « Nous sommes pris à la gorge par l’embargo. » L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a fourni des médicaments à certains centres de santé, notamment dans l’ouest du pays, et des kits d’urgence et de secours à certaines organisations non gouvernementales (ONG), mais ce n’est pas suffisant, a dit Mamadou D. Ball, représentant de l’OMS en Côte-d’Ivoire. « C’est loin de combler les besoins de l’ensemble du pays. » Selon les responsables de la santé, les sanctions ne sont pas les seules responsables : la fermeture des banques et le blocage du système financier ivoirien ont aggravé les problèmes d’approvisionnement. Début mars, Mme Adjobi a affirmé qu’un inventaire réalisé dans les centres de santé publics du pays montrait qu’ils étaient déjà à court de kits de dialyse et qu’il leur restait suffisamment d’antirétroviraux, d’antipaludiques et d’antibiotiques pour tenir quatre mois. Ils disposaient aussi d’assez de gants chirurgicaux, de poches de sang et de film radiographique pour tenir un mois.
Plus de radiographie à Treichville
Le centre hospitalier de Treichville ne peut plus faire de radiographie parce qu’il n'a plus de film, a dit à Irin son directeur, Ezani Kodjo. « C’est terrible, et si rien n’est fait, la situation ne peut que se détériorer. » Le 19 mars, dans un centre de santé situé dans la ville de Bécouéfin, à 85 kilomètres au sud d’Abidjan, Irin a vu un médecin dire à une femme sur le point d’accoucher qu’il pouvait l’aider à acheter les médicaments et les fournitures nécessaires. Mais il n’a pas pu obtenir tout ce dont il avait besoin à la pharmacie voisine. Selon Geoffrey Koné, un jeune homme de 27 ans qui souffre de paludisme, la population risque de se tourner vers les remèdes traditionnels. « Si les centres de santé n’ont plus de médicaments à nous donner, il vaut mieux revenir aux guérisseurs traditionnels. » Des étudiants et des professeurs en sciences de la santé ont manifesté devant le bureau de l’OMS à Abidjan le 3 mars dernier ; le lendemain, des professionnels de la santé y ont fait un sit-in pour appeler les institutions à séparer la politique des affaires sociales. Selon leur leader, Serge Nando, les étudiants ont prévu de manifester à nouveau si la situation ne s’améliore pas. « C’est inhumain. Nous allons continuer la lutte jusqu’à ce que nous soyons entendus. »
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