« EN INTITULANT ces journées "Femme et tabac" , j'ai donné d'emblée une lisibilité à la spécificité du tabagisme féminin, dit le Pr Delcroix . Et je me réjouis que, aujourd'hui, il figure dans la mesure 10 du plan Cancer. Les femmes sont les seules à avoir des enfants. Les répercussions du tabac sont à ce titre particulièrement importantes chez elles. Les enfants de mère fumeuse gardent des traces indélébiles du tabac. Les filles ont une baisse de fécondité identique à celle qu'elles auraient eue si leur mère avait pris du Distilbène ! Quant aux garçons, leur volume testiculaire est inférieur de 10 % à la moyenne si leur mère a fumé durant la grossesse. Certaines femmes sont stériles ou hypofécondes à cause du tabagisme anténatal ou du tabagisme actif. Chez les femmes fumeuses, les programmes de fécondation in vitro ont deux ou trois fois moins de résultats que chez les non-fumeuses. »
Pour cet obstétricien, le seul moyen de sensibiliser les femmes est d'agir sur l'exemplarité (voir encadré) : « Quatre-vingt-cinq pour cent des personnels en établissements hospitaliers qui prennent en charge les femmes en périnatalité sont des femmes. Si ces modèles sont contre-exemplaires, cela renforce les parturientes dans leurs comportements. Il est donc essentiel de sensibiliser en premier lieu les sages-femmes qui assurent le suivi de la grossesse. »
Une charte « Maternité sans tabac ».
Dans cette optique, Michel Delcroix milite pour les maternités sans tabac. « La moitié des maternités en France ont un fumoir, ce qui est parfaitement illégal ! On tolère pour le tabac ce que l'on ne tolérerait pas pour l'alcool !, s'insurge-t-il. Ce qu'il faut, c'est proposer une prise en charge : les directeurs d'hôpital où existe une maternité peuvent prendre en charge le traitement substitutif pour le personnel sur le lieu de travail. »
Pour encourager ce type d'initiative, l'Appri diffuse une charte « Maternité sans tabac ». L'idée commence à faire son chemin. « Quarante-cinq maternités ont déjà signé la charte. J'espère que, d'ici à la fin de l'année, la moitié des maternités françaises en fera de même. »
Pour le Pr Delcroix, le tabagisme féminin reste un sujet difficile car il touche à un comportement. « La médecine est dans le déni de connaissance par rapport au tabac. Les médecins et les spécialistes ne sont pas toujours dans l'exemplarité. Et les comportements font peur. Les comportements addictifs encore plus ! Le tabagisme est d'abord une maladie psychosociale. Or les pays développés investissent très peu dans le psychosocial autour de la naissance ; ils préfèrent mettre la priorité sur le médical. Tant que l'image du tabac sera banalisée et normalisée, les efforts déployés pour réduire le tabagisme resteront sans résultats. »
Et de s'inquiéter de l'augmentation sensible du tabagisme féminin : « Avant 18 ans, on dénombre plus de filles que de garçons fumeurs. L'effet cohorte est en route. Ces filles vont réaliser leur désir de grossesse et les répercussions de ce tabagisme vont apparaître de manière sensible. »
Pour infléchir cette tendance, un seul moyen : informer et sensibiliser. « Lorsque les femmes qui fument sont prises en charge correctement, deux fois plus d'entre elles arrêtent le tabac durant leur grossesse », conclut Michel Delcroix.
* Les rencontres seront présidées par le Pr Maurice Tubiana. Elles aborderont également la question des drogues illicites et de l'alcool, « le tabagisme étant la porte d'entrée vers les autres dépendances ». Renseignements : tél. 05.57.57.13.05, www.appri.asso.fr.
Pendant et après la grossesse
Outre la constitution du réseau Maternités sans tabac, ce sont tous les professionnels de santé qui doivent s'impliquer dans la lutte contre le tabagisme féminin. Le médecin du travail, par exemple, doit faire respecter la législation qui impose de soustraire la femme enceinte au tabagisme passif. Depuis la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, les inspecteurs du travail peuvent être saisis et intervenir.Il convient aussi d'améliorer la prise en charge de la femme enceinte fumeuse qui ne parvient pas à s'arrêter avec un accompagnement psychologique et comportemental ; dans ce cas, le traitement substitutif nicotinique est l'ultime recours. Au moment de l'accouchement, à l'arrivée à la maternité, la mesure du taux de monoxyde de carbone (CO) peut permettre de renforcer la vigilance des professionnels de la naissance pour diagnostiquer, prévenir ou traiter précocement des complications maternelle et/ou néonatales du tabagisme actif ou passif.
Après la naissance, le rôle du médecin demeure irremplaçable. Il lui revient, par exemple, de faire figurer le renseignement de l'exposition du bébé au tabagisme familial dans le certificat du 8e jour. Dans tous les cas et quel qu'il soit, l'intervenant en santé doit se montrer exemplaire. A cet égard, les actions de formation sont à développer, à l'instar de ce qui se passe dans les écoles bordelaises de sages-femmes et d'infirmières.
Deux prix, parrainés par « le Quotidien », valoriseront le travail et la réflexion d'étudiants qui réussiront à faire passer un message de prévention sous forme de bande dessinée sur le thème « Femme vie sans tabac ». Ils seront remis par le Dr Gérard Kouchner, notre P-DG, en clôture du symposium.
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