INCROYABLE mais vrai : « Monsieur Invincible », c'est bien lui, est tombé d'une étagère et s'est cassé son pied de tissu mou. Heureusement, son papa, Thomas, 5 ans, a pu le conduire chez le nounoursologue, justement de passage ce jour-là dans son école.
Ce matin, le préau de l'école maternelle de la rue Lacordaire, à Paris, est métamorphosé, comme par enchantement, un peu comme les salons après le passage du Père Noël. L'ambiance est colorée et chaleureuse. Sauf qu'en fait de cadeaux, il s'agit ici de seringues, de sparadraps, de grosses machines et surtout des hommes verts, bleus et blancs.
Eux, ce sont les nounoursologues, qui, tout le reste de l'année, sont étudiants en médecine, en école d'infirmière ou dentaire. Ils sont venus en renfort aujourd'hui : le doyen de la faculté Paris-V a excusé une quarantaine de ses étudiants de troisième année (et quelques-uns de deuxième année), partis en douce croisade auprès de nos chères têtes blondes.
Dédramatiser l'effet blouse blanche.
Le concept du « Teddy Bear Hospital » est né en Allemagne. Il vise à dédramatiser l'effet blouse blanche et, à long terme, favoriser la relation médecin-malade. L'opération ayant connu un vif succès outre-Rhin, l'homologue de notre Anemf (Association des étudiants en médecine de France) en a assuré la promotion au niveau international. L'Autriche, la Hollande, Israël, la Pologne, le Portugal et la Suède se sont laissé séduire. La France aussi, l'an dernier. Une vingtaine de facs françaises assurent des interventions nounoursologiques tout au long du mois d'avril (une dernière est prévue à Poitiers à la fin de juin).
Faire passer des messages.
Les interventions s'enchaînent derrière la bâche en plastique blanc du bloc opératoire. Pendant que l'on « fait faire un gros dodo à Nounours Dodu », Sullivan, le monstre mauve à taches bleues, se fait ouvrir le ventre, pas loin de Zebro, à qui l'on recoud une « blessure à la crinière ». Il est arrivé un truc in-cro-yable à Petit Ours Brun Doudou. Alors qu'il jouait à cache-cache dans un buisson, il a reçu un coup de fusil. Pan ! Une patte cassée. « Inventer un problème à quelqu'un qui va bien, ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile », convient le chirurgien en aparté. « Parfois, il y a de vrais trous et nous recousons pour de vrai. »
A l'entrée du « bloc op' », une petite fille se cramponne à son accompagnatrice. Elle finit par abandonner son éléphant entre les mains du « docteur en vert ». Morte de peur « parce qu'elle n'a jamais vu » une opération, elle refuse d'enfiler la blouse bleue, celle qui sert à « ne pas salir la salle ni le bobo ». Elle finit tout de même par s'approcher doucement de la table d'opération, toujours dans les bras de l'infirmière. « C'est sur ces enfants-là que l'impact sera le plus fort. Bien sûr, ce n'est qu'un pas, mais c'est déjà ça », commente le chirurgien.
La veille de leur visite dans l'école, les nounoursologues sont passés dans les classes, sans blouse. « Ils ont pu constater que ce sont des gens "normaux" », relève la directrice de l'école, Christine Venteau. Ils ont expliqué les règles du jeu, ont demandé aux enfants de venir le lendemain avec leur nounours et de lui inventer une pathologie. L'exercice est présenté comme un jeu, cela n'en reste pas moins un jeu sérieux. Les enfants découvrent leur préau « redécoré », certains s'arrêtent dans la salle d'attente et dessinent des nounours. D'autres donnent la main à des accompagnatrices et, nounours sous le bras, se dirigent vers l'un des huit postes de nounoursologue (= généraliste). Le nounoursologue écoute alors le « parent » du Doudou, remplit la fiche de liaison, inscrit un symptôme : mal au ventre (à droite), le doudou vomit, il a un peu chaud à la tête. Traduction : appendicite. Lien ville-hôpital oblige, le généraliste envoie son patient auprès d'un spécialiste. Direction le poste infirmier pour une prise de sang. Ou le service radiologie pour « voir une photo de l'intérieur du ventre ». Alors Lapin, le tout petit lapin bleu, est allongé sur un skateboard et passe à l'intérieur du « scanner ». Clic, Clac. Deux flashs (actionnés par la main du radiologue dissimulé derrière le drap) et hop, on monte sur une chaise pour observer le squelette de Lapin.
La visite chez le nounoursologue est l'occasion de faire passer certains messages : la radio, ça ne fait pas mal et les médicaments, tout « stop-bobo », « rapido-popo » ou « fusée-magique » (suppositoire) soient-ils, ne sont pas des bonbons. « Il ne faut pas les oublier et les prendre à heure fixe », répète la pharmacienne.
N'est pas nounoursologue qui veut.
Les jeunes nounoursologues ont suivi une petite formation auprès d'une pédopsychiatre. « Elle nous a expliqué comment fonctionne un enfant vis-à-vis de la douleur, du monde hospitalier, son rapport avec le temps aussi », explique ce nounoursologue, qui en profite pour déplier ses jambes en se levant de la petite chaise d'enfant. « Elle a beaucoup insisté sur le fait que l'enfant a le droit de pleurer », ajoute Mathieu Koundé, coordinateur de l'opération. « Trop souvent, des enfants s'entendent dire : « Tu vas être fort, tu vas être courageux, tu ne vas pas pleurer. » A travers leur nounours, les petits lâchent ce qui leur est arrivé à eux ou à leur petit frère, leur grande sœur. « Cela nous fait voir les enfants sous un autre angle. Nous avons tous gardé des petits neveux mais là, pour la première fois, nous les voyons en tant que patients. A part le stage obligatoire en pédiatrie, nous n'avons pas beaucoup l'occasion de travailler avec eux. »
Avant de retourner en classe, les enfants passent chez le dentiste donner un bon coup de brosse à dents sur les caries de Choupi Doudou, qui a mangé trop de sucre. L'hôpital des Nounours, ce n'est vraiment pas de la rigolade.
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