« SAUVAGES », « illégaux », une « prise d’otage des malades », des méthodes de « voyous »... : les « compléments d’honoraires » pour le secteur I, auxquels ont appelé à la fin du mois d’août trois syndicats – l’Union des chirurgiens de France (Ucdf), le Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof) et l’Association des anesthésistes libéraux (AAL) –, qui n’en peuvent plus d’attendre les revalorisations que leur a promises l’accord dit « chirurgiens » du 24 août 2004, ont fait, à peine formulés, l’effet d’une bombe. Le gouvernement, puis l’assurance-maladie, puis les complémentaires, puis les associations de patients, puis les syndicats (y compris médicaux)..., la France entière leur est tombée sur le poil. A bras raccourcis. Pour crier à l’inconscience et à la mise en péril de l’égalité d’accès aux soins.
Même entourée de précautions – et, en lançant leur mot d’ordre, les syndicats ont souligné que les dépassements, équivalents à 25 % des honoraires, devaient être expliqués aux patients « avec pédagogie » et ne pouvaient concerner les CMU ou les urgences –, la mesure est, il est vrai, difficile à cautionner sur le fond. Ce qui étonne toutefois, c’est que depuis quelques années l’arme des dépassements sauvages a été largement utilisée sans que s’ensuive un tollé à la mesure de ce que récoltent aujourd’hui les chirurgiens en colère. Pour ne citer qu’eux, en 2000 et en 2001, les généralistes qui couraient après le C à 20 euros se sont livrés par milliers à une guérilla tarifaire qui, si elle a donné lieu à d’importants remous, n’a pas suscité de condamnation aussi violente.
Alors, pourquoi les chirurgiens sont-ils si brutalement renvoyés dans leurs cordes ? Parce que leur colle à la peau une double image, de « nantis » et de « samaritains », qui cadre bien mal avec la volonté affichée de « gagner plus d’argent » ? « Si on regarde le chiffre d’affaires des chirurgiens, on peut se dire “ils gagnent bien leur vie”, admet le Dr Jacques Caton, président du Snco (Syndicat national des chirurgiens orthopédistes, qui s’est déclaré hostile aux dépassements sauvages). Mais c’est oublier que, au cours de sa vie, la durée de travail d’un chirurgien n’est pas longue, une trentaine d’années, et que son activité suit une courbe de Gauss – on démarre avec pas grand chose, puis l’activité décolle avant de retomber en fin de carrière. » Les stéréotypes ont la vie dure, le message de revenus en berne est certainement difficile à faire passer auprès du grand public, même s’il est avéré que les tarifs des chirurgiens ont très longtemps stagné (« Il y a trente ans, mes patrons prenaient des honoraires supérieurs à ceux que je prends aujourd’hui », se souvient le Dr Caton), et s’il semble acquis que, en dépit des promesses de l’accord chirurgiens, les tarifs n’ont pas augmenté à hauteur des 25 % promis – une hausse de 12,5 % a été obtenue dès octobre 2004, mais la refonte de la nomenclature des actes techniques n’a pas été une affaire pour les chirurgiens.
Aux gémonies.
Reste que la « figure » du chirurgien ne suffit pas à expliquer le tollé. Ne serait-ce que parce que des chirurgiens – notamment ceux emmenés par le groupe Cochise – ont recours à des dépassements, via le DE, depuis plusieurs années sans que quiconque les voue aux gémonies.
Peut-être faut-il alors chercher les raisons du déchaînement dans le moment choisi par les syndicats pour lancer leur mot d’ordre. « Il n’ont pas compris qu’on ne faisait pas monter la pression en pleine phase de négociation », résume le Pr Jacques Domergue, président du Conseil national de la chirurgie (CNC). A bout de nerfs, trop impatients, les chirurgiens n’ont pas attendu les conclusions imminentes – et que l’on dit plutôt favorables à leur cause au chapitre tarifaire – du rapport Giudicelli sur l’application de l’accord du 24 août 2004. Résultat, ils ont brûlé leurs vaisseaux et... sérieusement indisposé le ministère et l’assurance-maladie. Sur la forme. Mais aussi sur le fond, les pouvoirs publics pouvant craindre que le mouvement ne fasse tâche d’huile dans d’autres spécialités. Or ce sont bien les réactions ultrarapides de Xavier Bertrand et du président de l’Uncam (Union nationale des caisses d’assurance-maladie) qui ont donné le ton et entraîné l’opinion dans leur sillage. « Ils ont lâché les chiens contre les chirurgiens », résume le Dr Caton. Pour le Dr Philippe Cuq, à l’origine du mot d’ordre de dépassement avec l’Ucdf qu’il préside, la main de la caisse est évidente : « Nous n’avons pas adopté un comportement terroriste, notre action est symbolique, et nous nous voulons pragmatiques, mais on voit bien comment l’assurance-maladie, qui porte la responsabilité de cette situation, veut présenter les choses ! »
Plus pessimiste, un chirurgien membre du CNC va chercher plus loin les explications du malaise. La machine s’emballe aujourd’hui, explique-t-il, parce que l’accord du 24 août, « fait à la va-vite », était un « mauvais accord » dont les « ambiguïtés », qu’elles concernent le secteur optionnel ou les tarifs des chirurgiens, paraissent aujourd’hui impossibles à lever.
Le Syngof pas raciste
Le Dr Guy-Marie Cousin, président du Syngof (Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France), est formel : il n’a jamais affirmé à la presse que si les dépassements d’honoraires sauvages (auxquels appellent son syndicat, l’Ucdf pour les chirurgiens et l’AAL pour les anesthésistes) ne convenaient pas aux patients, alors il fallait « qu’ils aillent à l’hôpital se faire soigner par des praticiens à diplôme étranger » (« le Quotidien » du 4 septembre).
Le Dr Cousin explique que ses propos ont été « tronqués » et que, s’il a bien indiqué que viendrait un jour où, la faiblesse des honoraires et la lourdeur des charges aidant, il n’y aurait plus d’obstétrique libérale et les patients n’auraient d’autre choix que de se faire soigner à l’hôpital public, c’est sur un autre plan qu’il a abordé la question des médecins à diplôme étranger, rappelant que, à l’hôpital, « se posait également le problème toujours non réglé de la disparité des compétences des médecins à diplôme hors Union européenne ».
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