«ALORS QUE L’ON SAIT que des anomalies dans de nombreux gènes finissent par déclencher un cancer, notre étude ouvre une nouvelle voie de recherche», observe dans un communiqué le biologiste moléculaire Davide Ruggero, qui a dirigé ce travail au Fox Chase Cancer Center de Philadelphie. «L’ADN peut être parfait, mais nous venons de découvrir une autre voie par laquelle le produit qu’il encode peut devenir défectueux. »
Tête de lecture.
Jusqu’ici, on comprenait mal comment la maladie pouvait résulter de ribosomes anormaux. Le ribosome, formé de l’ARN ribosomal et de protéines associées, constitue la tête de lecture de l’information génétique transcrite par l’ARN messager (ARNm). C’est dans le ribosome que sont enchaînées les séquences d’acides amines qui vont composer la protéine.
La nouvelle étude du Dr Ruggero et de son équipe montre que des anomalies spécifiques de la traduction de l’ARNm sous-tendent des manifestations pathologiques de la dyskeratosis congenita liée à l’X.
Ce syndrome génétique, souvent fatal mais heureusement rare, inclut une prédisposition aux cancers (dont le lymphome), une insuffisance médullaire (anémie, immunodéficit et infections) et, dès l’âge de 10 ans, des anomalies cutanéo-muqueuses qui ressemblent aux syndromes de vieillissement prématuré.
Des mutations du gène DKC1 sont en cause. Ce gène encode la dyskérine, une protéine associée aux petits ARN (dont l’ARN des télomérases et les petits ARN nucléolaires). Lorsque la dyskérine est associée aux petits ARN nucléolaires, elle agit comme une pseudo-uridine synthase qui modifie l’ARN ribosomal (ARNr).
Il y a trois ans, Ruggero et ses collègues établissaient définitivement la culpabilité des mutations du gène DKC1 dans la maladie en récapitulant les manifestations de la dyskeratosis congenita chez la souris knock-out en DKC1 (« Science », 2003). Ils montraient également, de façon inattendue, que le syndrome était causé par une réduction de la modification des ARN ribosomaux (ARNr) et non par un raccourcissement des télomères, comme cela avait été suggéré.
Il restait toutefois à savoir comment une modification défectueuse des ribosomes pouvait conduire au cancer et aux autres manifestations de la maladie.
En utilisant une approche de protéomique, les chercheurs ont identifié, parmi 1 500 ARNm testés, 3 ARNm dont la traduction est spécifiquement réduite dans les cellules hébergeant le gène DKC1 muté, provenant des patients ou des souris KO. Ces trois ARNm codent pour la protéine tumeur-suppresseur p27, et deux protéines anti-apoptotiques – XIAP et Bcl-xL – dont les expressions se trouvent ainsi réduites d’au moins 25 %.
Le départ de la traduction.
Or ces 3 ARNm se révèlent avoir en commun le même mode de lancement de la traduction, car ils hébergent un site d’entrée interne du ribosome (élément Ires). Ces éléments Ires sont présents dans seulement un sous-groupe des ARNm cellulaires, et se lient au ribosome lors du commencement de la traduction.
«Ces résultats nous permettent de proposer le modèle suivant, indiquent les chercheurs. Les diminutions des modifications de l’ARNr, dues à la défaillance de la dyskérine, affectent la traduction d’ARNm Ires importants dans la cellule, qui pourraient avoir besoin d’interac- tions plus directes avec le ribosome pour le commencement de la traduction, ce qui contribue aux manifestations pathologiques spécifiques de la dyskeratosis congenita. »
En effet, les taux réduits de la protéine tumeur-suppresseur p27 pourraient expliquer la susceptibilité accrue aux tumeurs chez les patients affectés de dyskeratosis congenita.
Les taux réduits des deux facteurs anti-apoptotiques, Xiap et Bcl-xL, facteurs aidant les cellules à survivre en condition de stress, pourraient contribuer à la mort cellulaire accrue par apoptose des progéniteurs et des cellules souches hématopoïétiques, qui caractérise l’insuffisance médullaire.
Cette découverte pourrait déboucher un jour sur de nouvelles approches thérapeutiques : les protéines identifiées pourraient offrir des cibles thérapeutiques pour la dyskeratosis congenita.
Yoon et coll, « Science », 12 mai 2006, 902.
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