GRACE AU REGAIN de la natalité, la population des 2-5 ans augmente. Mais la société n'est pas prête à y faire face : encadrement insuffisant, personnel peu spécialisé, locaux inadaptés et effectifs trop importants. Dans ces conditions, la scolarisation des enfants à 2 ans, voulue comme un progrès social en 1990, est-elle une bonne idée ? Les pédopsychiatres et autres spécialistes de la petite enfance en sont de moins en moins convaincus. Ils l'avaient dit lors du congrès Psy & SNS (« le Quotidien » du 29 novembre). Ils l'ont répété lors d'un colloque scientifique ouvert au public, organisé par l'Association française de psychiatrie et placé sous la présidence d'honneur du député Guy Geoffroy (UMP).
Il faut regarder en face les réalités physiques, psychiques et affectives du petit enfant, souligne Claire Brisset en ouvrant le colloque. A l'évidence, la loi de 1990, dans laquelle s'inscrit cette scolarisation, est à revoir.
La France est le seul pays à scolariser si tôt, souligne la défenseure des enfants. Pourquoi ? Parce que les familles sont convaincues du bien-fondé d'une scolarisation précoce (dans leur inconscient, Mat' Sup' - maternelle supérieure - correspond à Math' Sup', donc réussite), et que c'est gratuit. Et parce qu'il n'y a aucune solution intermédiaire ni pour l'enfant ni pour les parents.
Il est donc important de démonter le discours ambiant et de créer des centres d'accueil alternatifs entre la crèche et l'école maternelle. Quatre années de maternelle, c'est trop. Il faut un système transitoire.
La « petite adolescence ».
D'autant que la scolarisation précoce présente aussi des dangers pour le développement nerveux et cognitif de l'enfant, comme l'expliquent les Drs Amin Arsan, pédiatre, et Geneviève Haag, pédopsychiatre. Car 2 ans, c'est l'âge d'une crise majeure que certains appellent « la petite adolescence ». Elle se manifeste par une agitation motrice, de l'irritabilité, de grosses colères, une utilisation systématique du « non » et d'autres signes de malaise. Le petit a encore besoin de ses trois siestes, la propreté sphinctérienne n'est pas forcément acquise. Il commence à découvrir le monde, à tenter des expériences, provoquant les premiers petits ou graves accidents. Materner reste indispensable. La révolution copernicienne du passage du « moi » au « je » doit se réaliser en douceur.
Mal gérée, cette période de recherche identitaire, courte, explosive, mais normale, peut entraîner plus tard, chez l'écolier, des violences, de l'agressivité ou des inhibitions. Elle se révèle salutaire grâce à une attitude attentive de l'adulte. Or l'école maternelle ne peut, compte tenu des effectifs actuels (entre 28 et 30 élèves), assurer un suivi personnalisé.
Avant de faire de l'enfant un élève, dit le Dr Arsan, il faut tenir compte de ses compétences. Délivrer le certificat de propreté aux parents, passeport obligatoire pour entrer à l'école maternelle, est un acte de responsabilité croisée.
Lors de l'acquisition du langage, un enfant, précise Alain Bentolila, professeur de linguistique, a besoin d'un adulte pour découvrir ce que « parler veut dire » et comment s'approprier des outils du langage. A l'école, les petits sont condamnés, faute d'encadrement important, à parler entre eux. Leur dire n'est pas rectifié, l'apprentissage du langage se fait mal. Il faut donc des structures d'accueil construites et aménagées pour eux, avec des effectifs ne dépassant pas 8 ou 10 enfants, et des enseignants très spécialisés, à leur écoute. Certes, c'est un investissement financier, mais, s'insurge le linguiste « que l'on ne nous parle pas de coût, toute allusion de cet ordre serait indigne quand le destin linguistique, culturel et social de nos enfants est en jeu ».
Des structures intermédiaires.
Il existe des classes passerelles qui pallient les carences des enfants de milieux défavorisés. Mais la vulnérabilité de l'enfant de cet âge est structurelle, pas sociologique. Il faut apprendre doucement à l'enfant à se détacher du giron familial. C'est une question de santé sociale et psychique. Cela ne peut se faire qu'avec des classes intermédiaires. Déjà, quelques expériences sont tentées en Côte-d'Or, dans l'académie de Dijon, ou en Espagne, sous l'égide d'Hubert Montagner. Grâce à la volonté de tous les acteurs de la petite enfance, des centres reçoivent, dans un cadre adapté, des enfants de 2 à 3 ans, sortis de la crèche mais pas scolarisés. Ils vivent à leur rythme, en tout petits groupes, plusieurs adultes les entourant et les éveillant. Sécurisé, l'enfant se développe, les parents se responsabilisent et ce travail en réseau, pluridisciplinaire, en accord avec les représentants des ministères concernés, des communes, des conseils généraux et régionaux, permet d'obtenir des résultats significatifs.
Il faut donc multiplier ces haltes-garderies, leur donner les moyens financiers et pédagogiques et enfin requalifier l'école maternelle, qui va vivre des moments difficiles à court terme car les Iufm (Instituts universitaires de formation des maîtres) ne forment plus guère d'institutrices à ce niveau. Unanimes à décrier l'école à 2 ans, les intervenants appellent tous les responsables à se mobiliser.
La scolarisation à 2 ans n'est pas une fausse bonne idée, c'est une mauvaise idée. Il est impératif qu'un débat national s'instaure, que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités pour préserver l'avenir de nos écoliers et de notre société. Car... tout se joue avant 3 ans.
L'expérience d'une institutrice
Béatrice Guerville est institutrice. De son expérience, elle a tiré un livre au titre explicite, « Ne mettez pas votre enfant à l'école, il est trop petit » (First, 17,90 euros). L'école à deux ans traumatise plus qu'elle n'éveille, estime-t-elle : on demande aux petits de supporter toutes sortes de contraintes et un rythme scolaire trop exigeant. Conséquence : une résistance physique amoindrie, un déséquilibre nerveux et cognitif. Essayons de les imaginer pendant six heures d'affilée avec 25 ou 30 autres : pleurs, stress, violences, inhibition, peurs.
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