EN DEFINITIVE, Jacques Chirac aurait mieux fait de confier l'adoption du traité européen au Parlement. Un référendum est toujours risqué, comme en témoignent le très fameux précédent de la consultation sur les régions qui a entraîné la démission du général de Gaulle en 1969, ou même le référendum relatif au traité de Maastricht, qui a été adopté à une faible majorité. Le référendum est néanmoins la procédure la plus démocratique. En France, on assiste même à un débat secondaire, mais empoisonné, sur les « inconvénients » de la démocratie, qui donnerait la parole à des citoyens « moins responsables » que d'autres. Bien entendu, ce n'est pas par rigueur éthique que le chef de l'Etat a choisi le référendum, mais pour diviser le PS, et il y est parvenu. Il n'empêche qu'il aurait mieux valu adopter la voie parlementaire : si l'Europe n'avance pas, c'est souvent parce que les enjeux européens sont utilisés comme des instruments de la politique intérieure.
NOUS NOUS CROYONS EN GUERRE CIVILE, COMME SI LA RUE DE SOLFÉRINO TIRAIT AU MORTIER SUR LA RUE DE L'UNIVERSITÉ
Pourquoi le « non » a presque gagné.
Un « non » s'adresserait aux partis classiques, confondus dans le même ressentiment populaire par des citoyens mécontents de l'adversité, mais aussi du traitement de cette adversité par le gouvernement.
Mais même si le traité est adopté par les Français, ce sera avec une courte majorité. Du coup, les tenants du « non », à droite et à gauche, auront gagné leur droit de cité. Au Parti socialiste, le Premier secrétaire devra bien admettre que Laurent Fabius et Henri Emmanuelli ont du répondant ; dans la majorité, Jean-Pierre Raffarin essuiera une défaite si la réponse est « non » ; et ce ne sera pas un triomphe si elle est « oui » à 50,1 % des voix. Après deux déroutes (municipales et régionales), le risque d'une troisième est un cauchemar pour M. Chirac.
Au lendemain des élections régionales, François Hollande est apparu comme un présidentiable et a réussi, jusqu'à l'ouverture du débat sur le traité européen, à maintenir la cohésion du Parti socialiste. La roue tourne, et vite. François Hollande est passé brutalement de la maîtrise du PS à une guerre de tranchées qui lamine le pouvoir large, mais éphémère, qu'il venait d'acquérir.
Le référendum, au regard des échéances proches, ce n'est rien. La France vivra fort bien avec le « non », et ce qu'elle y aura perdu, elle ne s'en rendra compte que dans plusieurs années.
Dans le « non » il y a aussi le refus irrationnel de regarder la réalité : nous trimbalons une dette énorme, nous restons attachés à une protection sociale dont nous rejetons le prix incommensurable, nous avons appris à détester à peu près tout le monde, des Américains aux immigrés en passant par le reste de l'Europe, nous sommes les champions du discours incendiaire sans jamais nous donner les moyens de passer des mots à l'action, et nous sommes contaminés par l'épidémie des idées non vérifiées : sur la directive Bolkestein, qui n'est pas ce qu'on en dit, sur la Commission de Bruxelles, à laquelle la France fait une réputation sulfureuse, sur « l'invasion de la France par l'Empire ottoman », nous n'arrêtons pas de fantasmer sans même prendre le temps de savoir ce que tout cela signifie.
Une Europe forcément libérale.
Est-ce de cette manière que l'on construit l'Europe ? Et si nos dirigeants en sont là, s'ils en sont à cacher aux Français l'évidence même, à savoir que la France et l'Europe ont une économie de marché, si on censure en France le premier représentant de l'Union européenne, si on rejoint la meute de ceux qui crient le plus fort pour le « non », pourquoi voter « oui » ?
Qu'attend-on pour dire la vérité : que l'Europe ne peut pas adopter le modèle collectiviste ; que la protection sociale ne sera pas renforcée par l'application d'idées marxistes périmées, notées zéro par l'Histoire, mais par le travail, l'innovation et le désir d'entreprendre qui assureront notre enrichissement, donc un sucroît de cotisations ; que la liberté, socle cardinal de l'Europe, ne veut pas dire assistance sociale, mais courage individuel, et qu'on n'a pas la première sans avoir le second ?
Mais tout le monde court derrière les partisans du « non », tout le monde, à droite et à gauche, tente de les rassurer, d'en rajouter, de se livrer à la surenchère. Ils ont peur ? Comme ils ont raison ! On les dorlote, on les caresse, on leur donne tous les gages qu'ils réclament. Pourquoi n'y a-t-il pas un « oui » de droite et un « oui » de gauche ? Et pourquoi Jacques Chirac est-il considéré, dans quelques chancelleries, comme un président socialiste ?
Sans doute parce que ce n'est pas facile de dresser pour les Français le sombre tableau de la réalité : dans un pays où la photo de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ensemble, est perçue comme un scandale, comme si nous étions en guerre civile et qu'on tirait à coups de mortier de la rue de Solférino sur la rue La Boétie, dans un pays où M. Emmanuelli peut dire tranquillement que le « oui » est comparable à la décision des élus français qui confièrent le pouvoir à Pétain en 1940, sans que cela fasse beaucoup de remous, il n'est pas facile de dire que la lutte des classes appartient à un autre âge et que la prospérité ne vient pas du farniente mais du travail. Hurler avec les loups, c'est plus simple. Mais triste.
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