De notre correspondante
à New York
« NOS RÉSULTATS représentent un changement important dans le domaine du traitement de la maladie d'Alzheimer, dans le sens où c'est la seule étude à ce jour qui démontre la possibilité de retarder le diagnostic clinique de la maladie », estime le Dr Ronald Petersen, neurologue à la Mayo Clinic (Rochester, Minnesota), qui a dirigé l'étude. « Cela pourrait être le signe de nouveaux horizons futurs pour essayer d'enrayer le processus de la maladie d'Alzheimer le plus tôt possible, afin de gagner du temps pour ceux qui progresseraient plus tard. »« Cette étude, poursuit-il, établit les fondements pour évaluer d'autres médicaments. Les patients ayant un déficit cognitif modéré constituent une excellente population à cibler avec, espérons-le, également d'autres traitements. »
L'étude, parrainée en partie par le National Institute on Aging, est publiée dès à présent sur le site en ligne du « New England Journal of Medicine », afin de coïncider avec l'annonce des résultats au congrès de l'American Academy of Neurology à Miami.
Défini il y a moins de dix ans, le déficit cognitif modéré représente un état de transition entre le vieillissement normal et la démence (ou la maladie d'Alzheimer en particulier), autrement dit un état où les déficits cognitifs sont présents, mais la fonction est encore préservée.
La forme amnésique du déficit cognitif modéré, caractérisée par une perte de mémoire, définit un sous-groupe de patients à haut risque de progresser vers la maladie d'Alzheimer (risque de 10 à 15 % par an, contre 1 à 2 % par an chez les personnes âgées normales). Environ 80 % de ces patients auront une maladie d'Alzheimer dans les six ans, et la présence d'allèle(s) APOE e4 accélère la progression.
Une intervention précoce permettant de prévenir la progression de ce sous-groupe vers la maladie d'Alzheimer pourrait donc être d'un bénéfice considérable. Cependant, les études d'interventions précoces ont été limitées jusqu'à présent par leur petite taille, leur courte durée et leurs résultats négatifs.
Petersen et coll. ont évalué en intervention précoce l'effet de deux traitements - le donépézil et la vitamine E - prescrits dans la maladie d'Alzheimer établie ; le donépézil, un inhibiteur de la cholinestérase, retarde de six mois la progression de la maladie ; la vitamine E, antioxydante, a, dans une étude de haute qualité du même groupe, ralenti la progression de la maladie d'Alzheimer modérée à sévère.
Taux global de progression de 16 % par an.
La nouvelle étude multicentrique (69 centres répartis aux Etats-Unis et au Canada), randomisée en double insu et contrôlée par placebo, porte sur 769 sujets affectés d'un déficit cognitif modéré de type amnésique.
Ces sujets ont, de façon randomisée, reçu soit la vitamine E (2 000 UI/j), soit le donépézil (10 mg/j), soit un placebo, cela pendant trois ans.
Le bénéfice a été évalué principalement sur le développement d'une maladie d'Alzheimer (cliniquement possible ou probable). Celle-ci est survenue chez 212 sujets, ce qui donne un taux global de progression vers la maladie d'Alzheimer de 16 % par an.
La plus grande nouvelle est l'absence d'efficacité de la vitamine E. L'analyse détaillée des mesures dans plusieurs domaines cognitifs (mémoire, fonction exécutive, langage et aptitudes visuo-spatiales) montre également l'absence de différence entre le placebo et la vitamine E.
En ce qui concerne le donépézil, les résultats laissent filtrer un espoir. Bien que le taux de progression à trois ans ne soit pas différent avec le donépézil, le taux de progression est réduit de 58 % pendant la première année. Cela est étayé par les mesures secondaires des fonctions cognitives. Les raisons de cet effet transitoire ne sont pas claires. On ne sait pas non plus si le bénéfice est influencé par le fait de porter l'allèle APOE e4.
Discuter au cas par cas.
Pour le Dr Petersen, ces résultats ne permettent pas d'établir une recommandation, mais ils ouvrent la possibilité de discuter au cas par cas une intervention précoce par donépézil. Ce pourrait être une option, par exemple, pour les patients affectés d'un déficit cognitif modéré de type amnésique qui souhaitent une approche agressive.
Cette étude, estime dans un éditorial le Dr Deborah Blacker (Harvard School of Public Health, Boston), « représente une avancée majeure dans la littérature des essais de traitement pour le déficit cognitif modéré ». « L'espoir demeure », conclut-elle. « Des études cliniques sur une grande variété d'agents visant à stopper ou même à renverser la progression des lésions cérébrales pathologiques dans la maladie d'Alzheimer sont en cours. Il est raisonnable d'espérer qu'au moins certains de ces agents se révéleront efficaces et pourront être employés précocement, dans l'espoir de stopper le processus de la maladie, lorsque la fonction est encore intacte. »
« New England Journal of Medicine » en ligne, 14 avril 2005, Congrès de l'American Academy of Neurology à Miami.
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