DE NOTRE CORRESPONDANTE
SALMONELLA TYPHI est une bactérie strictement adaptée à l’homme, qui se transmet par voie oro-fécale. Elle est responsable chaque année de 21 millions de cas de fièvre typhoïde et de 200 000 décès, principalement en Asie du Sud, en Afrique et en Amérique du Sud. Elle peut également être portée de façon asymptomatique par de rares individus, comme le laitier « N the milker », qui infecta entre 1893 et 1909 plus de deux cents personnes en Angleterre, et de la cuisinière Mary M., surnommée « Marie Typhoïde », qui, au début du XXe siècle aux Etats-Unis, contaminait bien inconsciemment ses « victimes » au fil de ses déplacements.
Si l’on connaît les séquences génomiques de deux souches de Salmonella typhi, on ignore la diversité globale, la structure génétique de la population et l’histoire évolutive de typhi. D’où vient-elle ? Comment évolue-t-elle ? Quel est l’impact de l’utilisation d’antibiotiques sur cette évolution ? Quel est l’impact du portage asymptomatique ? L’épidémiologie globale de la fièvre typhoïde restait jusqu’à présent mal connue.
Pour répondre à ces questions, une vaste étude de génétique des populations de Salmonella typhi a été lancée par Philippe Roumagnac et Mark Achtman, du Max Planck Institute, à Berlin (département de biologie moléculaire), par François Xavier-Weill et Sylvain Brisse, de l’Institut Pasteur, à Paris (unité de biodiversité des bactéries pathogènes émergentes), en collaboration avec le Wellcome Trust Sanger Institute, en Grande-Bretagne, et plusieurs centres médicaux ou de recherche en Asie, notamment au Vietnam.
L’étude de 150 souches représentatives.
Les chercheurs ont étudié 105 souches de Salmonella typhi, choisies au sein de plusieurs collections internationales de façon qu’elles soient représentatives de cet organisme bactérien à l’échelle mondiale. Ils ont pu bénéficier de l’exceptionnelle collection de Salmonella du centre national de référence de l’Institut Pasteur. Constituée depuis les années 1950, elle est aujourd’hui riche de plus de 300 000 souches provenant du monde entier.
Puisque les Salmonella typhi sont des bactéries génétiquement très homogènes, les méthodes moléculaires classiques pour étudier leurs populations étaient limitées et les chercheurs ont dû élaborer de nouveaux outils. Ils ont recherché les mutations dans un échantillon de 200 gènes de la bactérie (1,85 % du génome).
«En mettant au point une méthode originale de criblage de mutations ponctuelles, explique Philippe Roumagnac (Max Planck Institute), nous avons pu mettre en évidence des marqueurs qui nous ont permis de dresser un arbre phylogénétique des Salmonella typhi. »
Après les migrations, mais avant le néolithique.
Cet arbre permet d’identifier une souche ancestrale (tmrca) d’haplotype H45, d’où descendent toutes les souches actuelles : elle serait apparue à une époque distante de 10 000 à 43 000, donc après les migrations humaines hors d’Afrique, mais avant la période néolithique. Des représentants de cette souche ancestrale sont encore trouvés de nos jours sur plusieurs continents, ce qui suggère que la bactérie se serait maintenue au début au sein de petites populations de chasseurs-cueilleurs.
Comment un pathogène aussi virulent, mortel dans 10 % des cas non traités, a-t-il pu ne pas décimer ces populations et surtout perdurer ? L’hypothèse des chercheurs est que le phénomène du portage asymptomatique a permis à la bactérie de persister dans les populations humaines : certains individus infectés peuvent continuer, après leur guérison, à excréter pendant des dizaines d’années des bactéries dans leurs selles.
«Ce portage asymptomatique est probablement beaucoup plus répandu qu’on ne l’imagine», souligne le Dr François-Xavier Weill, codirecteur du CNR des salmonelles à l’Institut Pasteur. «Même en France, la fièvre typhoïde peut encore frapper; preuve en est la contamination d’une dizaine de clients d’un restaurant parisien en juillet dernier par un porteur sain travaillant en cuisine. Ce constat nous incite à rappeler l’importance des mesures de lutte contre la transmission oro-fécale, notamment le simple fait de se laver les mains avant de cuisiner ou de manger. »
Par ailleurs, l’analyse de plus de 300 souches asiatiques supplémentaires a permis d’identifier en Asie des souches non apparentées qui sont résistantes aux fluoroquinolones et appartiennent à l’haplotype H58. Un clone appelé H58 semble ainsi avoir récemment émergé en Asie, à la suite de l’utilisation massive des fluoroquinolones en Asie du Sud-Est à partir de 1989.
Dans certains endroits, 90 % des bactéries sont désormais résistantes à cette classe d’antibiotiques. «L’étude soulève un vrai problème de santé publique pour l’Asie du Sud-Est, car d’autres antibiotiques pouvant être utilisés sont plus coûteux et plus difficiles à utiliser», précise François-Xavier Weill. «Le clone H58, qui est très majoritaire en Asie, commence par ailleurs à être retrouvé en Afrique», ajoute-t-il.
Deux dynamiques épidémiologiques.
Pour les chercheurs, la structure démographie de typhi refléterait donc deux dynamiques épidémiologiques distinctes : d’une part, le portage asymptomatique qui permet une évolution neutre lente (sur des millénaires) et, d’autre part, la transmission infectieuse facilitant une réponse rapide à la sélection en temps réel.
«Ces résultats ouvrent de multiples routes pour la recherche future», estiment les chercheurs.
Les outils mis au point permettront désormais de mieux surveiller, au niveau mondial, l’émergence de clones résistants, afin de mettre en application les mesures de santé publique visant à limiter la dissémination de ces clones.
« Science », 24 novembre 2006, p. 1301.
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