Le conflit des urgentistes
DANS LE NORD, l'activité du centre 15 a connu une augmentation de 7 % en 2004, après deux augmentations consécutives de 10 % en 2001 et 2002. En quatre ans, le nombre de dossiers ouverts est passé de 174 000 à 227 000. Mais le nombre de sorties du Smur est resté rigoureusement identique, à 36 500 par an.
« Ces quelques chiffres montrent bien qu'il n'y a pas eu plus de malades ou de blessés graves. L'augmentation est uniquement due à l'activité de régulation », explique le Dr Patrick Goldstein, coordinateur CHU et urgences au CHR de Lille, qui note la lassitude de son équipe. « Ils sont épuisés et ont l'impression de ne plus faire leur métier. Un urgentiste qui fait de la permanence de soins n'est pas à sa place et il risque de mal la faire car il est noyé dans l'activité. Les malades sont les premiers à en pâtir. »
Exemple le plus flagrant cité par l'urgentiste lillois : le cas des personnes âgées.
Dans les maisons de retraite, un coordonnateur médical assure en principe la permanence des soins. En pratique, la situation est un peu différente... et, après 18 heures, il est fréquent de faire appel au 15.
« Les directeurs d'établissement qui hébergent les personnes âgées ont été mis en accusation lors de la canicule. Aujourd'hui, ils ne veulent prendre aucun risque. Face au moindre événement médical, les consignes données au personnel sont claires : faites le 15. Nous sommes devenus par la force des choses le système médical de veille des maisons de personnes âgées. »
Lors de la dernière épidémie de grippe, le Smur appelé dans une maison de retraite pour une patiente de 85 ans qui présentait des difficultés respiratoires est resté... quatre heures dans l'établissement pour examiner douze personnes . « Ce n'est quand même pas le travail du Smur », s'insurge Patrick Goldstein, qui souligne « une augmentation de 14 % en un an des appels provenant des maisons de retraite. Entre 20 heures et 24 heures, le nombre d'appels s'est envolé, avec un accroissement de 41 %. »
Conséquence dramatique de la situation : le recours de plus en plus fréquent à l'hospitalisation. En 2004, le nombre de personnes âgées hospitalisées en urgence a augmenté de 15 % dans le Nord. « Pour une personne de plus de 80 ans, être hospitalisée en pleine nuit sans sa famille est une catastrophe. Le meilleur environnement pour les personnes âgées reste la prise en charge à domicile. »
Devant la surcharge de travail, les urgentistes commencent à être démotivés. Beaucoup vivent dans l'angoisse permanente de suites médico-légales, « ce qui peut se traduire par des raisonnements de protection plutôt que par des actes de bonne pratique médicale », déplore Patrick Goldstein, qui s'inquiéte du turnover de plus en plus important au sein de son équipe.
« Lorsque j'ai démarré au Samu de Lille en 1976, se souvient-il, les jeunes médecins qui entraient faisaient toute leur carrière ici. Aujourd'hui, ils restent un an ou deux et changent de service. Plus grave : nous avons de plus en plus de mal à recruter des internes car la charge de travail leur paraît incompatible avec leurs études. En trente ans, j'ai vu des générations de médecins entrer dans ce métier avec passion. Ils ont ce service vissé au corps. Mais je les vois se démotiver, et les listes de gardes fondre comme neige au soleil. J'aimerais qu'ils aient une vie professionnelle aussi passionnante que la mienne. Mais, pour cela, il faut leur permettre de revenir à leur métier. »
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