PENDANT LA CRISE irakienne, on souffrait pour Tony Blair : on ne voyait pas comment le Premier ministre britannique, désavoué par son peuple, accablé par les journaux, poussé sans cesse aux contradictions et aux mises au point par les commentaires sur son soutien inconditionnel à George W. Bush, allait s'en sortir. On a même pensé qu'il démissionnerait : après tout, un bon tiers des élus travaillistes militait farouchement contre l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne, l'une de ses ministres démissionnait pour mieux le critiquer de l'extérieur, sa cote de popularité n'avait jamais été aussi basse et, comble de l'infortune, M. Bush n'a pas cessé de lui réclamer plus d'efforts pour résoudre, en quelque sorte, les problèmes que le même Bush avait créés.
De l'audace dans tous les cas.
Tony Blair est un politicien hors normes parce qu'il a de l'audace quand tout lui sourit et qu'il en a encore quand tout va mal pour lui. Il ne se rend jamais. Il aurait dû être prêcheur : quand tout semble perdu, il a encore un argument pour sa défense, il ne désespère jamais de convaincre ses interlocuteurs. Aujourd'hui encore, il dit qu'il a bien fait d'avoir envoyé les soldats de la reine se battre en Irak. Pourtant, il a littéralement ridiculisé son gouvernement lorsqu'a été publié un rapport secret sur les armes de destruction massive que Saddam Hussein était censé posséder. En réalité, le rapport n'était que le plagiat d'une thèse d'étudiant vieille de dix ans.
TONY BLAIR A PU SE MAINTENIR AU POUVOIR PARCE QUE « MAGGIE » LUI AVAIT PRÉPARÉ LE TERRAIN
Que Tony Blair ait pu, dans un tunnel aussi étouffant, trouver le chemin de la lumière, constitue à n'en pas douter l'un des exploits politiques de ces dernières années.
Comment a-t-il fait ? Si on compare son trajet à celui de Jacques Chirac, on s'aperçoit que le comportement du président face au dilemme irakien a été approuvé par les Français, mais n'a pas beaucoup augmenté sa popularité. On peut dire de Tony Blair que le choix inverse qu'il a fait et qui lui a valu la colère des sujets de la reine ne l'a pas durablement desservi. M. Chirac, en revanche, dresse un tableau plutôt médiocre des progrès économiques de la France, alors que M. Blair triomphe dans ce domaine : une inflation mieux maîtrisée, un taux de croissance annuel d'un point supérieur au nôtre et un chômage presque inexistant ou résiduel (3 %, contre 10 % en France).
De 1997, année où M. Blair a été nommé Premier ministre, à aujourd'hui, le produit intérieur brut (PIB) britannique a rattrapé, puis dépassé celui des Français. L'Angleterre de Blair, c'est l'histoire d'un formidable redressement économique, avec une croissance modérément forte. M. Blair a gagné la bataille contre le chômage, celle que M. Raffarin, pour le moment, a perdue.
Le miracle, ce n'est pas lui.
On ne niera pas l'extraordinaire talent de Tony Blair en matière de communication. On ne niera pas son sens « churchillien » du leadership qui consiste à piloter le navire même quand il coule. On ne niera surtout pas sa constance, sa fidélité à l'Amérique, le sens aigu qu'il a d'appartenir à la communauté anglo-américaine, qui vaut bien d'autres communautés et qui fait que, à nos yeux, il est le digne descendant des héros de la Deuxième Guerre mondiale. Mais le « miracle » anglais, ce n'est pas lui.
Ce n'est pas lui parce que, lorsqu'il est arrivé au 10 Downing Street, il a hérité d'une Angleterre déjà réformée par les soins de la très militante Margaret Thatcher, elle-même étroitement associée alors au conservatisme de Ronald Reagan. Non sans intransigeance, ni même sans cruauté, « Maggie » a donné au royaume des remèdes de cheval qui, dans un terrible et douloureux fracas social, l'ont guéri de ses maux. Ce faisant, Mme Thatcher a fait d'une pierre deux coups : elle a modernisé son pays et elle a forcé le Labour à chercher sa fameuse « troisième voie », qui n'est plus la social-démocratie. Ce modèle, on l'a rejeté en Allemagne et en France avec mépris ; la réforme britannique a été cruelle, elle a jeté à la rue des centaines de milliers de mineurs et de cheminots. Mais aujourd'hui, c'est en Allemagne et en France qu'on compte le plus grand nombre de chômeurs.
Tony Blair s'est bien gardé de défaire ce que Mme Thatcher avait fait. Et il n'a consenti à augmenter les dépenses publiques que quand le sous-financement (des transports publics et de l'éducation notamment) devenait criant.
Merci, Gordon.
Le miracle n'est pas de son fait pour une autre raison : l'homme qui a relancé la production britannique, ce n'est pas Tony Blair, mais son chancelier de l'Echiquier, le remarquable Gordon Brown. Lequel, il faut le dire, espérait tirer les dividendes de son splendide travail et devenir le chef de son parti, pour occuper ensuite le poste de Premier ministre. M. Blair, qui, il y a quatre ans, lui avait promis qu'il démissionnerait avant les élections suivantes, n'a pas tenu parole : encore cinq ans, s'il te plaît, Gordon. Le ministre de l'Economie, a apprécié, mais tout Londres dit qu'il reste à son poste. C'est ça, le talent de Tony. Même quand il exagère, on lui pardonne.
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