AH ! CE SONT LES ETATS-UNIS qui vont souffrir du « oui ». Ou qui vont être terrassés par le « non ». Voilà ce qu'on entend ici et là alors qu'il est très facile de se reporter à la presse américaine et de mesurer son indifférence pour la question. Non que les Américains se désintéressent de la construction européenne : à 15, à 25, avec ou sans Constitution, ils en font le meilleur usage.
Quant à croire, comme les « oui » et les « non », qu'ils seraient terrorisés par une Europe forte ou contents d'une Europe faible, c'est le degré zéro de l'analyse. Ils ne voient aucun inconvénient à ce que l'Europe prenne leur relais, notamment sur les théâtres militaires européens ; et bien sûr, ils souhaitent (en même temps qu'une majorité des 25) que l'Otan se développe. Tous ceux, comme Jean-Pierre Chevènement, qui affirment que le traité livre l'Europe à l'ogre américain, ou, comme les « oui », qui pensent qu'il l'en délivre, se trompent. Ce n'est pas aux passions pro- ou antiaméricaines que le texte répond, mais à un besoin croissant d'harmonisation et de fonctionnement fluide des institutions européennes.
L'exception française.
Quelle importance ? Sur le plateau de l'excellent Serge Moati, dimanche dernier, on a vu s'affronter des « oui » et des « non » sur la culture. Quelle ne fut pas notre surprise d'entendre tous les participants, y compris le maître de cérémonie, évoquer l'Europe culturelle par opposition aux Etats-Unis ? Le président de la Fnac a prononcé un éloge de l'exception française, qui a permis au cinéma français de résister au cinéma américain comme n'y seraient pas parvenus les cinémas italien ou autres (il s'est bien gardé d'évoquer le cas de la Grande-Bretagne qui produit d'excellents films, sans bénéficier de la moindre exception, mais qui, bien sûr, profite de l'anglais pour envahir le marché américain).
On sait que l'exception française consiste à subventionner des films pour qu'ils ne soient pas écrasés par la machinerie américaine. Ce système s'est traduit par quelques productions coûteuses dont on nous permettra de discuter le bon goût, en dépit de leur succès populaire ; par nombre de navets ; et par des films de qualité qui, peut-être, auraient vu le jour sans les subventions.
En fait, l'exception française n'a qu'un mérite : elle apporte une alternative au mauvais goût américain. On peut dire que deux films américains sur trois s'adressent aux enfants ou à des adultes restés enfantins (ou infantiles ?). De ce point de vue, heureusement, on peut voir autre chose. Mais l'exception n'est pas nécessairement culturelle : on a coutume d'appeler culture toute production artistique, ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas faire le tri. Nous produisons énormément de déchets, et on ne voit pas pourquoi les Français devraient tellement se réjouir de créer sous le parapluie de l'exception, laquelle encourage parfois les talents les plus médiocres.
NOUS NOUS BATTONS SUR L'EUROPE EN LORGNANT VERS L'AMÉRIQUE, ELLE-MÊME PRODIGIEUSEMENT INDIFFÉRENTE À NOTRE QUERELLE
La bicyclette européenne.
On ferait mieux de se demander s'il existe une culture européenne distincte des autres et si un écrivain allemand ou un peintre français sont aussi connus aux Pays-Bas que des artistes américains. On verra que non. Moins d'Europe détournera les regards vers l'Amérique, plus d'Europe les concentrera sur Paris, Florence ou Berlin. On ferait mieux de se demander si le siècle qui commence sera comparable, sur le plan de la création, à celui qui vient de se terminer et qui, entre les deux guerres, drainait en France les écrivains américains. L'Europe, ou l'absence d'Europe, n'a pas empêché en tout cas le succès sans précédent de « Da Vinci code » qui s'est vendu partout dans le continent et n'est au mieux qu'un roman de gare pris au sérieux par les foules subjuguées, au pire, une imposture.
Si l'émotion, comme on a pu le voir lors de l'émission « Ripostes », gagne les intellectuels de haut vol (encore que les plus célèbres fussent partisans du « oui », comme le merveilleux Jorge Semprun, européen depuis soixante ans), on comprend qu'elle ait ravivé le prurit antiaméricain dont les Français sont affectés. Et c'est bien le problème. Il nous semble en vérité que le meilleur argument en faveur du traité, c'est le fameux : « L'Europe est une bicyclette. Si on arrête de pédaler, elle tombe. » C'est en vertu de ce principe de la physique de base que nous sommes nombreux à soutenir la construction de l'Europe depuis le début. Et c'est aussi pourquoi ceux qui disent qu'ils veulent une « autre » Europe et votent « non » en conséquence sont soit des imposteurs, soit des naïfs.
En tout cas, s'ils l'emportent, ils auront très certainement donné un coup d'arrêt à l'Europe ; et franchement, on ne comprend pas pourquoi ils prennent de telles responsabilités vis-à-vis d'eux-mêmes et vis-à-vis des générations qui suivent. On en soupçonnera au moins quelques-uns, qu'on voit parader à la télévision, de choisir le « non » parce qu'il flatte leur ego et leur permet de se distinguer. C'est peut-être une raison suffisante pour eux, mais pas pour nous. L'enjeu est d'une importance extraordinaire et nos petites vanités n'ont rien à y faire.
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