S'IL FALLAIT encore un argument pour emporter l'adhésion des Français au traité constitutionnel européen, il vient de nous être offert par des commémorations de la victoire de 1945, où le président des Etats-Unis n'a pas craint, à Moscou, de rappeler l'oppression communiste, où les pays baltes ont exprimé leur chagrin d'avoir été livrés, le jour même où les nazis étaient vaincus, à la barbarie stalinienne.
Des films, des documents ont montré que la guerre n'est jamais jolie : les bombardements américains en France ont été dévastateurs et certains GIs se sont conduits en conquérants, non en libérateurs. D'autres ont expliqué comment, quelques mois avant la libération, des milliers de résistants ont rejoint le maquis du Vercors pour mieux être écrasés par les parachutistes allemands ; et Tulle, et Oradour...
Une mémoire à deux sens.
Certes, on a vu des scènes de liesse, à Paris et dans chacune des villes libérées ; elles n'ont pas fait renaître les morts, et notamment ceux que les nazis ont assassinés quelques mois, quelques semaines, avant d'être eux-mêmes défaits.
Et puis, dans la foulée, on s'est rappelé les massacres de Sétif, en Algérie, où les forces de l'ordre françaises auraient tué plus de vingt-mille civils musulmans, sans doute parce qu'une revendication qui risquait d'affaiblir la France au lendemain de cinq ans d'humiliation semblait intolérable au nouveau pouvoir, pourtant républicain et démocratique.
Heureusement, la mémoire n'a pas fonctionné, ces derniers jours, à sens unique. On s'est souvenu, lors des anniversaires du débarquement, du sacrifice de milliers de soldats américains, anglais et canadiens ; on s'est souvenu de la joie des Français enfin délivrés du pétainisme ; on s'est souvenu de Laval, des milices, des Français engagés dans les Waffen SS. Aujourd'hui, on se rappelle aussi, comme l'ont montré bon nombre de films, que Pétain s'est fait applaudir à Paris quatre ou cinq mois avant le débarquement et avant la visite de De Gaulle à Bayeux où le général, à son tour, était applaudi. Par les mêmes Français.
Aussi est-il nécessaire de répéter inlassablement qu'un projet international qui a pour objectif de mettre fin aux guerres européennes (Lyautey ne considérait-il pas que c'étaient des guerres civiles ?) et dont la mise en œuvre a sauvegardé la paix entre nous pendant soixante ans ne peut pas supporter le rejet des Français. La seule chose qui compte, ce n'est ni le capital ni le social, ni l'imperfection du traité ni ses avantages, ni les emplois ni les délocalisations, c'est la dynamique unitaire. Elle nous rend meilleurs, nous tous Européens. Elle nous protège contre le malheur et contre le déshonneur. Elle nous offre un destin, un avenir, elle nous permet de bâtir la cité où nous vivons et qui est constamment à refaire. Il n'y a rien de plus prodigieusement politique que le projet européen, parce qu'il est, comme celui des Etats-Unis il y a deux siècles, l'un des rares exemples d'inflexion de l'histoire par la volonté humaine.
L'EUROPE, POUR EN FINIR AVEC LES MALHEURS DE LA GUERRE. TOUT SIMPLEMENT
Ce qui indigne.
Aussi, quand on voit à quel niveau se situe le débat aujourd'hui, quand on voit que des hommes, par ailleurs tout à fait estimables, sacrifient leur propre contribution à l'Europe pour exiger qu'elle s'arrête pile sur ses rails, quand on réalise à quels malheurs la construction européenne nous a probablement permis d'échapper, quand on sait que, si les Français sont aujourd'hui disponibles pour toutes les révoltes, c'est parce qu'ils ont oublié les tourments de leurs parents ou grands-parents, quand on mesure qu'un problème de délocalisation - toujours réparable - n'apportera jamais le millième du chagrin causé par une déportation - irrémédiable, quand on compare les sacrifices d'autrefois et les colères d'aujourd'hui... on s'indigne.
Un couple de médecins nous écrit pour nous expliquer pourquoi il votera non : et de citer divers articles du traité et d'autres encore, qu'il juge à tous points de vue imparfaits. Cette étude minutieuse du texte est sûrement admirable. Mais est-ce la question posée ?
La question est la suivante : voulez-vous poursuivre ou non le projet qui a assuré la paix (et pas mal de prospérité) aux Européens depuis 48 ans ?
On peut certes répondre « non » parce que la Commission risque d'avoir des pouvoirs plus étendus que ceux du Parlement, ou parce que les emplois payés 50 euros de l'heure pour 450 millions d'Européens ne sont pas garantis par la Constitution. Mais alors, on ne peut pas dire que l'on prend vraiment ses responsabilités ; ou que l'on a un peu de gratitude pour ce qui a été accompli jusqu'à présent et un minimum de prescience de l'avenir.
Beaucoup de Français ont lu le texte attentivement. C'est tout à fait méritoire. Mais avant même de le lire, ceux qui veulent plus d'Europe ne risquaient pas de voter « non ». Quitte à nous répéter, ce qui compte, ce ne sont pas les imperfections inévitables d'un traité, c'est le mouvement européen. Et à tous ceux qui nous reprochent d'avoir pris fait et cause pour le « oui » et exigent parfois de nous une forme de rétraction, ce qu'à Dieu ne plaise, nous ne répondrons pas par la réponse classique, à savoir que nous ne pouvons pas écrire ce que nous ne pensons pas ; mais que, visiblement, les « non » et nous ne parlons pas du tout de la même chose.
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