EN FRANCE, dix-neuf ans après l'explosion d'un réacteur de sa centrale, le 26 avril 1986, Tchernobyl n'en finit pas de semer la discorde entre malades et spécialistes du nucléaire.
Les premiers, réunis au sein de l'Afmt (Association française des malades de la thyroïde), épaulés par la Criirad (Commission de recherches et d'informations indépendantes sur la radioactivité) ont annoncé, lors d'une conférence de presse, le 13 avril dernier, qu'ils entendaient « poursuivre la lutte contre l'énorme mensonge ainsi que l'omerta politique, médicale et scientifique encore en vigueur quand on évoque cette catastrophe ». Et de demander, pour commencer, la mise en examen du Pr Pierre Pellerin directeur du Scpri (service central de protection contre les rayonnements ionisants) au moment où le « nuage » radioactif balayait l'est et le sud-est de la France, parce qu'il aurait sous estimé le risque. La juge Marie-Odile Bertella-Geoffroy, qui a reçu en juillet 2001 la plainte de malades atteints d'un cancer de la thyroïde, vient en effet de faire connaître les conclusions du rapport qu'elle avait demandé à deux experts, Paul Genty et Gilbert Mouthon. Conclusions peu flatteuses pour le Scpri : le service a fourni, à l'époque, des cartes inexactes de relevés de radioactivité.
Reste à démontrer que l'iode radioactive échappée de la centrale peut être responsable des pathologies de la thyroïde dont souffrent les plaignants. Une hypothèse que les spécialistes de la Sfen (Société française d'énergie nucléaire) ravalent au rang de « rumeur ». Nul ne conteste qu'en Ukraine et au Belarus notamment, de 3 000 à 17 000 enfants (selon les études) présentent des pathologies thyroïdiennes dues à l'inhalation des isotopes radioactifs de l'iode, ou à l'ingestion de produits contaminés. Les doses auxquelles ils ont été soumis étaient colossales. Qu'en est-il en France ? Tout en exprimant « son respect et sa compassion pour les malades », le Pr Yvon Legall, ancien chef du service de médecine nucléaire de l'hôpital Lariboisière, à Paris, estime devoir « les éclairer sur les causes diverses des cancers, héréditaires, environnementales, dues à des carences et sur l'impossibilité, en France, de voir quelle pourrait être la part de la radioactivité car elle a été cent mille fois inférieure aux valeurs estimées dans les régions proches de la centrale ». Autre difficulté : l'augmentation constante du nombre de cancers de la thyroïde répertoriés, et ce... depuis 1975. La raison ? « Elle tient principalement dans les progrès du dépistage, l'augmentation correspond à l'essor de l'échographie Doppler, particulièrement ; on la rencontre d'ailleurs aux Etats-Unis et au Canada, qui n'ont pas été affectés par les retombées de Tchernobyl. » Le Pr Legall avance d'autres arguments : dans le Bas-Rhin, l'un des départements les plus touchés, le nombre de cancers de la thyroïde a doublé depuis 1986, tandis que dans le Calvados, épargné par la contamination, les cas ont quadruplé : « Ce qui est mis là en évidence, c'est la qualité des relevés épidémiologiques qui gagnent progressivement en précision et non un phénomène biologique », analyse-t-il.
Des études nécessaires.
Des études épidémiologiques indépendantes et fiables, voilà ce que réclame de façon insistante l'Afmt. Le Criirad, pour sa part, dénonce l'escamotage d'études réalisées en Corse et en Paca (concernant les hypothyroïdies du nouveau-né), deux régions particulièrement touchées par les retombées radioactives. Pourquoi, en effet, ne pas conduire ces recherches, qui, quels qu'en soient les résultats, pourraient apaiser le débat ?
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