LE CAS d'Ana Carolina Reston, morte à 18 ans, au Brésil, à la veille de son départ pour Paris, où elle devait poser pour des photos de mode, suscite une importante vague d'émotion internationale. Ce mannequin brésilien mesurait 1,74 mètre pour seulement 40 kilos. Elle avait été hospitalisée il y a trois semaines pour une infection urinaire qui a rapidement évolué en insuffisance rénale, avant de dégénérer en septicémie.
« Elle n'avait aucune résistance et les médicaments ne faisaient plus d'effets en raison de son extrême faiblesse », a déclaré à la presse la tante de la jeune fille. Mannequin depuis l'âge de 13 ans, celle-ci avait déjà une importante carrière internationale à son actif, elle avait travaillé au Japon, au Mexique, en Chine et en Turquie et, pour répondre aux standards exigés par les couturiers et les responsables des agences, elle ne s'alimentait plus, ces derniers temps, qu'avec des pommes et des tomates.
La nouvelle de son décès a relancé, au Brésil et dans le monde, la polémique qui sévit sur l'exposition au risque anorexique des mannequins, une polémique aussi vieille, semble-t-il, que le métier lui-même.
En septembre dernier, c'est Madrid qui avait fait l'événement en exigeant, pour la première fois au monde, que les mannequins fassent connaître leur indice de masse corporelle (IMC), pour obtenir l'autorisation de défiler dans le cadre de la 44e édition de la Pasarela Cibeles, le grand rendez-vous de la mode ibérique. Cinq participantes avaient alors été exclues en raison d'un IMC inférieur à 18 (56 kilos pour 1,75 m), la limite fixée par les autorités madrilènes en se fondant sur les critères édictés par l'OMS (Organisation mondiale de la santé).
Lorsque cette mesure avait été rendue publique, la présidente de la région, la conservatrice Esperanza Aguirre, avait insisté sur la nécessité d'éviter « l'extrême minceur dans les défilés pour ne pas transmettre des canons de beauté qui puissent engendrer des troubles de santé ». Les 31 couturiers inscrits à la Paserala Cibeles avaient tous donné leur accord pour respecter la règle. L'Association des créateurs de mode d'Espagne avait tenu à exprimer son « engagement à transmettre lors de cet événement une image de beauté et de santé », quelques agences alertant cependant sur le risque de discrimination à l'encontre de modèles naturellement très minces.
Le look affamé démodé.
Après Madrid, Milan, sans aller jusqu'à adopter des mesures coercitives, a semblé emboîter le pas pour, selon la formule de la maire de la ville, « ne plus voir dans les défilés de top-modèles anorexiques ». Letitzia Moratti a expliqué que c'était « une erreur d'offrir au public des mannequins maladifs », le président de la chambre italienne de la mode faisant chorus, en affirmant que « le look affamé est démodé ».
Mais dans les capitales internationales de la mode, les réactions se sont faites plus circonspectes : « C'est une interdiction discriminatoire et je suis contre », a estimé le président du Conseil des créateurs de mode d'Amérique, organisateur du défilé de New York. En France, saint des saints de la haute couture, le président de la Fédération française, Didier Grumbach, s'est contenté d'opiner que « c'est au créateur de décider de quel type de mannequin il a besoin (...), cela ne se réglemente pas. »
C'était avant la tragique disparition de la jeune Ana Carolina. Dans l'Hexagone, grands couturiers comme directeurs d'agences de mannequins observent depuis un mutisme embarrassé. Seule à s'exprimer, la présidente de l'Union nationale des agences de mannequins (Unam), Isabelle de Saint Felix, explique au « Quotidien » que « les top-modèles de la haute couture constituent un tout petit monde qui n'est en rien représentatif des tendances observées dans la profession : comme l'a montré la dernière grande enquête sur les mensurations des Français, les hommes et les femmes, chez nous comme dans tous les pays développés, ont tendance à prendre des rondeurs. Les mannequins qui travaillent à la télévision et que l'on voit dans les spots pour les lessives et autres produits usuels respectent naturellement ce standard pour que les ménagères puissent mieux s'identifier à elles ».
De fait, les Gisele Bundchen, Ilona Quodine, Heidi Klum et Christy Turlington, que s'arrachent les magazines et qui montent sur les podiums, appartiennent à un club mondial ultrafermé : elles courent les capitales et ne s'y posent que le temps d'un défilé ou d'une séance photo. Pas question bien sûr d'envisager un quelconque suivi médical pour de telles stars, fussent-elles menacées par des tableaux anorexiques majeurs. Et la jeune Brésilienne évoluait dans ce sillage-là, hors de tout contrôle.
En fait, les seuls mannequins exerçant leur art en France qui bénéficient d'une surveillance sont les enfants-mannequins : le décret n° 92-962 du 9 septembre 1992 stipule qu'ils doivent faire l'objet de l'avis favorable d'un médecin pédiatre.
Les autres, les adultes, préposés aux spots télés et cinés, bénéficient d'un statut salarié au terme duquel leur principal employeur, précise Mme de Saint Felix, est tenu de les inscrire à la visite annuelle de la médecine du travail, selon le régime général. Contrairement aux artistes, qui bénéficient d'un organisme inter-entreprises dédié (le Centre médical de la Bourse, à Paris), ces mannequins ne sont pas suivis par des médecins du travail spécifiques. Mais ils ne semblent pas exposés, quant à eux, à des risques particuliers, assure la présidente du l'Unam.
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