DANS LE CAS de Robert Badinter, la querelle oppose deux personnes également connues pour leur rigueur. On regrettera donc que l'ancien président du Conseil constitutionnel ait choisi une cible qui pourrait avoir quelques raisons de se situer au-dessus des critiques. Simone Veil n'a jamais fait carrière et, si elle a pris la peine de demander l'autorisation du Conseil constitutionnel avant d'entrer en campagne, si elle a renoncé à ses émoluments pendant un mois, si elle s'est engagée à ne pas siéger au Conseil lorsque arriveront les contestations juridiques de l'adoption du traité, si enfin elle a obtenu la bénédiction du président du Conseil constitutionnel et de ses collègues, M. Badinter pouvait s'abstenir : après tout, il a l'air de dire qu'il en sait plus sur la question que Pierre Mazeaud, son successeur.
LES DÉTRACTEURS DE SIMONE VEIL AURAIENT PU AU MOINS RECONNAÎTRE QU'ELLE EST ANIMÉE PAR UN IMPÉRATIF CATÉGORIQUE
Peur d'elle ?
Mais peut-être M. Badinter, qui combat furieusement le projet d'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, n'est-il animé que par le désir d'écarter Mme Veil de la campagne ? Il inspire trop de respect pour que l'on souscrive à cette hypothèse. Il faut, en revanche, ignorer les actifs partisans du « non » qui s'élèvent (au nom d'une déontologie qui tombe à point nommé) contre l'apparition de Simone Veil sur les écrans. Ils ne décrient son initiative que parce qu'ils en ont peur. Peut-être est-ce aussi le cas de Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, qui, à force de prouver son indépendance, exprime sur à peu près tout des avis disparates et n'a pas résisté au plaisir de s'attaquer à une icône de la politique. Comme, dans le même discours, il a éreinté Laurent Fabius, en montrant de la sorte tout le dévouement qu'il a pour Jacques Chirac, M. Debré s'est cru autorisé à faire une remarque sans appel sur Mme Veil, et a ainsi repoussé d'un revers de la main une vie, une carrière, un engagement en faveur des plus grandes causes auprès desquels son propre bilan, pourtant convenable, paraît bien médiocre.
Non seulement il se mêle de ce qui ne le regarde pas, comme Simone Veil, habituellement réservée, l'a fait remarquer jeudi dernier sur TF1, mais il prend à partie beaucoup plus fort et beaucoup plus convaincant que lui. Non pas que Mme Veil soit une spécialiste des joutes oratoires ou qu'elle sache exécuter en un tournemain ceux avec qui elle engage le fer. Mais, comme on dit, elle a du répondant ; et si elle avait le dixième de sa morgue, elle rappellerait à ce censeur soudain saisi par un vertige donquichottesque qu'il venait de naître quand elle affrontait la mort à Auschwitz et qu'il n'était qu'un jeune homme de bonne famille quand des députés la traitaient de « nazie » parce qu'elle présentait au vote une loi sur l'IVG. Comme l'aurait dit pertinemment le président de la République, qui, par ailleurs, trouve en Jean-Louis Debré le plus fidèle des partisans, « ce n'est pas convenable » de s'en prendre à Simone Veil sur un tel sujet. Ce n'est pas qu'en ces temps où l'on glisse sans cesse entre le bon et le mauvais, l'honnête et le malhonnête, l'intégrité et la corruption la question soulevée par Robert Badinter soit négligeable. Elle compte, bien sûr, et tout le monde, y compris Simone Veil, doit se la poser. Mais, d'une part, elle l'a fait puisqu'elle a pris le soin de consulter ses collègues ; et, d'autre part, ceux qui la critiquent auraient pu au moins lui accorder le crédit de son dilemme : elle a choisi entre le devoir de réserve, qu'elle aurait pu, il est vrai, appliquer au-delà même de l'avis de ses pairs, et un devoir plus impérieux, celui de défendre un projet, l'Europe, auquel elle a consacré une bonne partie de sa vie, une énorme énergie et d'incessants efforts.
Au nom de l'histoire.
Simone Veil est européenne au nom de sa vie personnelle et au nom de l'histoire. Qu'elle ait vu très tôt, comme les pères fondateurs de la Communauté européenne, que le seul moyen d'éviter des guerres de plus en plus dévastatrices, c'est de s'unir, correspond chez elle chez elle à un mérite exceptionnel. Car loin de s'enfermer dans une haine définitive, elle a tendu la main aux Allemands qui, d'ailleurs, ont plus de considération pour elle qu'un certain nombre de nos concitoyens.
Qu'aujourd'hui encore elle voie, au-delà des petites craintes frileuses, des ratiocinations et des tentatives organisées de sabordage de l'Europe, l'importance de l'enjeu, qu'elle comprenne que ce référendum, tel qu'il se déroule dans la France d'aujourd'hui, avec les terribles arrière-pensées de ses détracteurs politiques, est historique et qu'un respect, poussé à l'extrême, de la déontologie serait à ses yeux une lâcheté ne diminue nullement sa stature ; et la grandit au contraire.
Que M. Debré ne l'ait pas vu, c'est son problème. Qu'il exige sa démission définitive au nom de la pureté de l'âme, du cœur et de l'esprit, c'est un acte qu'on lui suggérera le moment venu, quand il sera confronté à un dilemme du même genre. Il aura l'occasion de nous éblouir de son élégance. Mais qu'il n'essaie pas de ternir l'éclat politique d'une dame qui a apporté infiniment plus au pays qu'il ne pourra jamais le faire.
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