DE NOTRE CORRESPONDANT
MICHEL DEBOUT, psychiatre et président de l'Union nationale pour la prévention du suicide, fait part du témoignage attristé d'un de ses collègues du conseil économique et social, ancien représentant syndical de l'usine Cellatex, fermée il y a cinq ans, lui racontant la dégradation physique d'une des salariées. Un changement tel, que, plusieurs années après la liquidation judiciaire de l'entreprise, il n'a pas reconnu cette ancienne collègue, une des plus actives durant cette lutte très médiatisée. Gérard Deruelle, autre intervenant, président du comité de sauvegarde Félix-Potin-Dispar, dont les supérettes ont définitivement baissé leurs rideaux en 1995, se souvient d'un délégué syndical qui s'est suicidé.
La liste des salariés dont la santé a été atteinte par la fermeture de leur entreprise est certainement très longue. Pourtant, beaucoup de travail de recherche est encore à faire sur ce thème. « Le début de l'interrogation sur les problématiques de santé liées aux fermetures et restructurations date du congrès de la médecine du travail de 2002 », souligne Annie Touranchet, médecin du travail. Ce travail est d'autant plus nécessaire que les études menées à petite échelle ont des conclusions préoccupantes. Ainsi, une enquête réalisée par un médecin du travail de Kodak a montré notamment une aggravation de l'état de santé au fur et à mesure de l'annonce de plans sociaux. En situation d'attente, les salariés vivent mal ces restructurations au long cours. « Cette période d'entre-deux est très difficile, explique le Dr Annie Touranchet. On se regarde en chiens de faïence, qui va rester, qui va partir ? Et puis, ceux qui vont rester éprouvent un sentiment de culpabilité. Un psychologue parle à leur égard de sentiment d'amputation. »
Même les non-licenciés.
Une étude effectuée chez Renault, à Vénissieux, met en évidence les conséquences négatives des plans sociaux y compris sur les salariés qui ne sont pas licenciés. Ce qui pousse le Dr Annie Touranchet à penser que « le meilleur plan social n'empêchera pas les problèmes de santé ». Et d'ajouter qu'en général, les difficultés surviennent tôt. « Les pathologies physiques qui apparaissent sont souvent l'aggravation d'un état préexistant, avec des problèmes cardiaques, des infarctus, des accidents vasculaires. On constate aussi des conséquences psychosomatiques, avec notamment des problèmes digestifs ou dermatologiques, comme des psoriasis généralisés. On note surtout une dégradation de la santé mentale, en raison d'une perte d'identité, de confiance en soi et aussi de la perte du collectif. Ce sont alors des maladies addictives, un amaigrissement ou une obésité, une consommation d'anxiolytiques en hausse... »
Pour illustrer cette déstabilisation inhérente aux licenciements (et à leur crainte), le Pr Michel Debout évoque ce moment, souvent médiatisé, de la lutte solidaire, celle des LU ou des Moulinex. « C'est une période de grande exaltation. On pense qu'on va gagner. Puis on se demande contre qui on se bat. On agit contre un système. Mais qui personnifie vraiment ce système ? Il n'y rien de plus déshumanisant ! Les réactions peuvent être alors d'ordre paranoïaque (on est en colère contre la société entière), avec des troubles de la personnalité. » La sociologue Danièle Linhart, qui a travaillé pendant trois ans auprès d'anciens salariés de l'entreprise Chausson, à Creil, parle de la fermeture « comme d'un événement qui va marquer les gens et qui va les mettre dans un rapport de défiance vis-à-vis du monde ».
Une visite médicale de sortie.
En attendant la création éventuelle d'une médecine de l'absence de travail, imaginée dans un rapport du conseil économique et social en 1993, comme il existe une médecine du travail, plusieurs intervenants ont dit espérer l'instauration d'une visite médicale de sortie. Ensuite, « l'important est de maintenir le lien social, plus que de mettre en place un suivi psychologique individuel », estime le Pr Debout.
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