Hôpital privé d’Antony, hôpital privé Jean-Mermoz, hôpital privé Nord-parisien… Aux quatre coins de la France, les établissements du secteur privé lucratif jettent aux orties leur label de « cliniques » pour lui préférer celui « d’hôpital ». « Si le terme "hôpital" a toujours désigné des établissements privés, il y a en effet une volonté forte depuis un an et demi d’apporter une identité hospitalière aux cliniques. Nous voulons donner l’image que nous sommes ouverts à tous. Ce n’est pas parce que nous sommes privés que nous sommes select… », avoue Lamine Gharbi, président de la FHP-MCO. De fait, depuis le début des années quatre-vingt-dix, les frontières tendent à s’estomper entre le public et le privé. « En 1990, nous étions des établissements indépendants, puis l’on nous a accordé certaines autorisations comme les urgences, la néonatologie ou encore la réanimation, à l’instar du public. Les cliniques, qui étaient auparavant des associations de médecins libéraux cherchant à mutualiser leurs moyens, sont devenues pourvoyeurs, progressivement, de missions de service public », se rappelle Jean-Loup Durousset, président de la FHP. La promulgation de la loi HPST en juillet 2009 a donné un brusque coup d’accélérateur au rapprochement du privé lucratif et du secteur public. Désormais, out le service public, vive les missions de service public (Cf. encadré) que peuvent revendiquer à la fois le public, le privé non lucratif, mais aussi le privé lucratif. Avant ce brusque rapprochement, déjà, la mise en place d’une tarification commune pour les activités MCO, la T2A avait eu tendance à rapprocher les deux secteurs.
Les internes, ressource convoitée
Même si le mouvement allait alors du public vers le privé, comme le rappelle le rapport 2010 du gouvernement au parlement au sujet de la T2A : « Avec la T2A, le premier rapprochement opéré dès 2006 entre les deux secteurs a consisté à mettre en place un outil budgétaire dans le secteur public (l’état prévisionnel des recettes et des dépenses/EPRD), plus proche des modes de gestion du secteur privé. » Si la T2A, et les nouveaux modes de gouvernance (conseil exécutif puis directoire, conseil de surveillance, pouvoir accru du directeur…) ont permis d’appliquer les recettes du privé au public, le partage des missions de service public aligne le privé lucratif sur le modèle du public. Et, parmi ses missions, celle qui pour le moment suscite le plus d’intérêt chez les patrons de cliniques privées semble bien être « l’enseignement universitaire et postuniversitaire », et la captation de cette manne tombée du ciel que sont les internes, en période de décrue de la démographie médicale. Pour preuve, l’affluence au premier congrès du syndicat d’internes Isnih, Avenir médecins, le 22 octobre dernier, presque entièrement financé par le groupe La Générale de santé. Fédération d’hôpitaux publics, mais aussi fédération d’établissements privés et grands groupes de cliniques privées, comme Vitalia, Capio, Vedici étaient présents, espérant attirer à soi sur ces terrains de stage les médecins de demain. Car, pour le moment, le rapport est nettement en faveur de l’hôpital public, voire des Espic, tandis que le privé lucratif reste la lanterne rouge en matière d’accueil des internes : « Actuellement, sur les 22 000 internes en médecine en formation en France, une quinzaine seulement est en stage dans une clinique privée », note à regret Christian Le Dorze, PDG du groupe Vitalia, sur son blog. Mais tout indique que la situation est en passe d’évoluer, et que, dans un avenir proche, les internes se formeront aussi bien dans le public que dans le privé. En tous les cas, les groupes de cliniques s’y préparent, qui proposent des contrats pour les internes, et des conditions d’accueil privilégiées (cf. p. ???). Côté interne, la demande est forte : « Nous savons que nous allons pour une grande majorité d’entre nous travailler dans le secteur privé, que ce soit en cliniques ou en cabinet. Donc, nous espérons effectuer nos stages dans le privé », explique Grégory Murcier, président du syndicat d’internes Isnih. Mais ce n’est pas encore chose faite. Des textes réglementaires manquent à l’appel. « Nous travaillons actuellement avec les doyens sur les critères d’agréments, qui devraient faire l’objet d’un arrêté publié en novembre. Et nous attendons encore un décret sur la rémunération des internes, qui sera publié d’ici à la fin de l’année. Nous espérons donc effectuer nos stages dans le privé dès mai 2011. »
Urgences, un nouveau marché
Autre terrain de prédilection du public dans lequel le privé lucratif commence à exceller, les urgences. « L’on s’est aperçu depuis une dizaine d’années que non seulement les cliniques étaient bien implantées dans les urgences, mais que nous ne perdions pas non plus d’argent », constate Lamine Gharbi. Dans le rapport d’activités 2009 de l’hospitalisation privée, la place de plus en plus prégnante des cliniques dans la prise en charge des urgences, surtout en agglomération, fait l’objet d’un chapitre. Pour constater que les « cliniques situées dans les agglomérations ne représentent que 40 % des cliniques de France, mais possèdent 47 % des urgences et réalisent 44 % des passages ».
Et, loin du cliché du service d’urgence installé en banlieue chic, les urgences du privé lucratif sont également en zone sensible, qu’il s’agisse de la clinique-hôpital La Roseraie à Aubervilliers (93), ou encore de l’hôpital privé de l’Ouest parisien à Trappes (78). Mais, là aussi, la dynamique peine à se mettre en marche et les responsables du secteur privé pestent contre la rareté des autorisations délivrées par la tutelle. « Théoriquement, la loi HPST nous permet de participer aux missions de service public sans tenir compte des secteurs. Mais nous constatons actuellement qu’il y a une centaine d’établissements en France qui font des urgences et qui ne sont pas reconnus en tant que tel, et donc ne reçoivent pas la rémunération adéquate », constate avec désarroi Frédéric Dubois, directeur général du groupe de cliniques Medipartenaires.
Des Migac grignotées par le privé
Pour ce qui est du nerf de la guerre, les finances et principalement les Migac, les données évoluent. Ainsi, le rapport sur la campagne tarifaire 2010 relève qu’« en 2010, 1,3 % de la dotation Migac, soit 102 millions d’euros ont été alloués aux cliniques privées (établissements ex-OQN1), contre 1 % de cette dotation en 2008. Il s’agit donc d’une part marginale, mais dont la progression est sensible et continue, puisque cette part de la dotation Migac allouée aux établissements ex-OQN était de 0,4 % en 2005 (soit 53 millions d’euros), 0,7 % en 2006, et 0,9 % en 2007 ».
Il en va de même pour ce qui concerne le financement de « la lutte contre l’exclusion sociale », et de la prise en charge de la précarité. Financée depuis 2009 grâce à un débasage de la masse tarifaire, la mission d’intérêt général « précarité » a été dotée d’un montant de 100 millions d’euros en 2009, dont 95 millions pour les établissements ex-DG2 et 5 millions d’euros pour les établissements ex-OQN. Ce qui a suscité la colère du privé lucratif. Mais en 2010, la tutelle a rectifié le tir et finance de la même manière privé et public pour la prise en charge de la précarité : « Le paramètre en pourcentage de la base tarifaire qui avait pour effet d’inclure ou d’exclure à tort certains établissements a été supprimé. Les seuls paramètres pris en compte en 2010 sont un taux de séjour CMU/CMUC/AME/AMESU transmis par la CNAMTS supérieur ou égal à 10,5 %, ainsi qu’un seuil plancher fixé à 40 000 euros. Ces paramètres sont désormais identiques pour les secteurs privé et public. »
Médecins, de plus en plus salariés
Au chapitre des ressources humaines, là aussi le privé copie les méthodes du public, en salariant de plus en plus ses médecins. Mais c’est un choix par défaut, se défendent les responsables des fédérations patronales du privé. « La CCAM clinique n’a jamais vu le jour. Aujourd’hui la nomenclature actuelle ne permet pas de faire vivre un médecin. La solution, faute de négociations conventionnelles, a été de choisir le salariat », explique Jean-Loup Durousset. Il n’empêche : la part de médecins salariés dans le secteur privé augmente sans cesse. Si le privé enregistre une baisse significative de ses médecins libéraux (-1 % entre 2006 et 2007), le nombre de médecins salariés a augmenté de 3,96 % entre 2005 et 2006, de 4,52 % entre 2006 et 2007, et de 8,55 % entre 2005 et 2007 ! Enseignement, recherche, financement, urgences, prise en charge de la précarité : dans tous ces domaines, les différences s’estompent. Si bien que l’on peut se poser une question, légitime : est-ce la fin de la bataille public/privé ? D’autant plus que les coopérations public-privé semblent se multiplier, notait la FHF mi-octobre. Coopérations qui, si l’on se fie aux nouveaux statuts des groupements de coopération sanitaire (GCS), peuvent être assimilées à des fusions.
Mais c’est là que le bât blesse, et que l’exercice d’abolition des frontières entre les secteurs montre ses limites. Pour les responsables de la FHP, point question de livrer le patrimoine du privé lucratif au secteur public (cf. p ???). Pas plus qu’ils ne veulent remettre en cause leur mode de fonctionnement, et leur objectif premier, qui est la conquête de nouveaux marchés. Selon Lamine Gharbi, le secteur privé se distingue par son esprit d’entreprise. Car, même si les cliniques se rebaptisent aisément « hôpital », elles sont loin d’avoir rayé d’un trait de plume cet adjectif qui au final fait leur spécificité : lucratif.
2. Dotation globale.
RELANCE
« Les urgences du privé lucratif sont également en zone sensible »
« out le service public, vive les missions de service public »
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