Plus loin, plus tard, plus vieux…

Quand les anesthésistes font de la résistance

Publié le 08/11/2012
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PAR LES Drs MARC E. GENTILI (a), LAURENT DELAUNAY (b) ET JEAN-LUC FRIGUET (b et c)

L’ANESTHESIE-REANIMATION (AR) est une spécialité nécessitant une compétence technique élevée et la capacité à faire face à des situations incompatibles avec une altération psychique ou physique classiquement attribuée au vieillissement. De prime abord, on peut considérer que ces médecins âgés sont en bonne santé et que leur activité, outre l’aspect économique, constitue un véritable challenge cognitif pour eux. L’âge peut aussi être considéré comme un facteur d’expérience humaine et professionnelle au sein d’une équipe.

Il est sans doute difficile de faire une étude démographique précise sur le sujet, en particulier au niveau des médecins AR exerçant une activité de remplaçant.

Les données de la caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) concernant les libéraux sont cependant assez précises. Ils sont 3 708 et leur âge moyen est de 52,7 ans. Parmi eux, 979 ont 60 ans ou plus et 109, âgés de plus de 65 ans, sont en cumul emploi-retraite, essentiellement en anesthésie. Ce groupe concerne des praticiens « postés » exerçant souvent dans le même établissement depuis de nombreuses années : cela signifie que, pour ce mode d’exercice, chaque année, au moins de 100 à 150 000 patients sont pris en charge par un anesthésiste de plus de 65 ans.

La question de savoir si l’âge des praticiens doit être considéré comme un facteur de risque de détérioration intellectuelle qui mériterait des mesures de suivi et d’évaluation a déjà été soulevée. Cependant, on objectera qu’il n’existe pas de modalité réglementaire de suivi de ces praticiens. De plus, il n’y a pas d’information relative à leur formation médicale continue.

Plusieurs façons de voir les choses.

Certains auteurs recommandent la mise en place d’un suivi concernant les praticiens âgés suspects de détérioration intellectuelle et donc à risque d’erreurs médicales (1). Une étude récente menée chez 80 % des AR canadiens a trouvé une fréquence plus élevée de litige médicolégal et des lésions plus sévères chez les patients traités par des AR de 65 ans et plus, sans pouvoir préciser le mécanisme de cette augmentation du risque : fatigabilité entraînant une baisse de vigilance, temps de réponse plus long, manque de formation continue, capacité de communication réduite (2).

La compétence plutôt que l’âge.

D’autres ont une vision plus positive, considérant que les médecins vieillissent comme le reste de la population et qu’il est possible que la compétence tirée de l’expérience acquise puisse contrer la diminution de performance liée à l’âge. De manière globale, on peut considérer qu’il y a un bon acquis des connaissances engrangées lors de la formation initiale et plutôt des difficultés engendrées autour des connaissances en mutation, ce qui est un argument fort pour justifier la formation continue tout au long de la carrière (3). D’autant que des études montrent qu’il existe une capacité d’apprentissage des tâches, mêmes complexes, tout au long de la vie et que cet apprentissage est mémorisé sur du long terme. Dans d’autres domaines, les psychologues ont objectivé le maintien des performances malgré le vieillissement constaté chez des joueurs de go professionnels, ce qui suggère que la pratique prolongée et délibérée pourrait se

révéler être le secret pour minimiser les effets nuisibles du vieillissement.

Parmi les facteurs qui contribuent à la perte de la performance, la plus évidente est la fatigue. De multiples études soulignent que les modifications de travail pour réduire la fatigue se traduiront par une diminution des erreurs de prise de décision. De même que l’orientation vers une activité ambulatoire peut améliorer les performances (4). La constatation de perturbations du jugement et d’erreurs par rapport aux standards de soins devrait justifier une évaluation rigoureuse des capacités cognitives et ce sans égard avec l’âge du praticien (4).

En fin de compte, la compétence plutôt que la retraite obligatoire en raison de l’âge devrait être le facteur déterminant pour apprécier si les médecins sont en mesure de poursuivre leur pratique.

Une autre question mérite d’être posée : est-ce le bon état général qui permet le maintien d’activité ou l’inverse ?

(a) CHP Saint-Grégoire, Saint-Grégoire.

(b) Clinique Générale, Annecy.

(c) Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), Paris.

(1) LoboPrabhu SM, VA Molinari, Hamilton JD, Lomax JW. The aging physician with cognitive impairment: approaches to oversight, prevention, and remediation.

Am J Geriatr Psychiatry 2009;17:445-54.

(2) Tessler MJ, Schrier JE, Steele RJ. Association between anesthesiologist age and litigation. Anesthesiology 2012;116:574-9.

(3) Eva KW. The aging physician: changes in cognitive processing and their impact on medical practice. Acad Med 2002;77:S1-6.

(4) Warner MA. More than just taking

the keys away. Anesthesiology 2012;116:501-3.


Source : Bilan spécialistes