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LE CONCEPT D'ADOLESCENCE est une création sociale née au XIXe siècle en lien avec l'évolution des rapports démographiques entre les générations, écrit Michèle Emmanuelli dans un « Que sais-je ? » qui lui est entièrement consacré (« l'Adolescence »). L'auteure reconnaît elle-même n'avoir pas pu aborder toute la diversité des points de vue nécessaires à son étude et c'est effectivement dans une perspective essentiellement psychanalytique qu'elle analyse le processus d'adolescence et ses troubles comme ses modalités de prise en charge.
Jean-Marie Forget, psychiatre dans un lieu d'accueil pour adolescents, propose lui aussi une analyse principalement psychanalytique des mises en actes de l'adolescent comme des modes d'activité de sa souffrance face à des refus, ou à ce qu'il entend comme des refus, d'affirmation de lui-même (l'adolescent face à ses actes et aux autres). Mises en actes qui sont autant de moyens de réagir lorsque la pensée fait défaut, de communiquer avec l'adulte, qu'il soit professionnel, représentant d'une instance sociale ou simple témoin. Quatre types symptomatiques de mises en acte sont analysées. L'inhibition, confinant à une expérience de solitude et d'ennui : c'est l'adolescent qui répète de façon lancinante, comme dans le film de Godard, « J'sais pas quoi faire. Qu'est-ce que je peux faire ? » L'opposition, qui consiste comme principale activité à « être contre ». « L'acting-out », qui est une mise en scène de ce qui ne peut se dire et peut se traduire par des actes délictueux. Le passage à l'acte, quatrième modalité décrite par J.-M. Forget, qui peut être représenté par une fugue ou une tentative de suicide. Pour ce psychanalyste, la fréquence de ces modes de mises en actes des adolescents semble une conséquence de la logique des défausses de leurs interlocuteurs à tenir une position symbolique et nécessite de revenir de façon urgente au maintien d'une position symbolique allant à l'encontre de la perversion ambiante.
Des rites pas sages du tout.
Si les rituels initiatiques ancestraux tendent à disparaître en Afrique comme en Australie, la question de leur fonctionnalité reste d'actualité, souligne Tobie Nathan dans sa préface à l'ouvrage de Fabrice Hervieu-Wane, ouvrage qu'il considère « comme un livre de morale contemporaine ». L'idée de cet auteur, également journaliste et fin connaisseur de l'Afrique, est d'introduire une part d'initiation à l'intérieur du fonctionnement éducatif afin de lutter contre l'exclusion, contre les comportements à risque des adolescents modernes, ces nouvelles « épreuves hard contemporaines », du jeu du foulard aux piercings en passant par les suicides, les fugues et la vie dans la rue ou les comportements d'extrême violence vis-à-vis d'autrui ; comportements et « rites pas sages » qui ne sont là que la recherche contemporaine de la transe perdue, façon de rejeter la violence que constitue la linéarité de notre monde. « Les enfants ne sont que ce que nous les autorisons à être (...) Nous n'avons pas réagi face au délitement des systèmes symboliques. Nous laissons complètement en friche le champ des rites de passage. Sous nos yeux, ils resurgissent empiriques, sauvages, négatifs, incontrôlables », écrit Fabrice Hervieu-Wane. Sans cette initiation, les adolescents demeurent des éternels Peter Pan dans une version nettement plus destroy avec une énergie entièrement tournée vers l'agressivité, la volonté d'écraser les autres, l'instabilité. Il nous faut donc concevoir de nouveaux rites de passage, explique-t-il au fil des pages, analysant pour mieux nous en persuader le sens de ces rites dans les sociétés ancestrales. Néanmoins, il est difficile de faire du neuf avec du vieux : l'auteur en convient lui-même dans sa conclusion : « Plaquez des rites traditionnels d'hier aux réalités d'aujourd[212]hui, des réalités du sud aux réalités du nord et la mayonnaise a de fortes chances de ne pas prendre (...) Il y a urgence à inventer nos rituels positifs. » Si la réflexion qu'il propose sur le sens des comportements adolescents retient vraiment l'attention, les propositions de « rites de passage modernes » qu'il fait tout au long des pages sont nettement moins convaincantes.
Regarder au-delà du bout de sa culture.
Soigner des enfants nécessite de construire une alliance thérapeutique avec les patients, mais aussi avec leurs parents ; alliance qui ne peut négliger la dimension culturelle tant dans les paroles échangées que dans la façon de faire avec le corps. Une équipe québécoise de pédiatrie (hôpital Sainte-Justine) propose aux pédiatres et aux médecins en formation un enseignement de pédiatrie interculturelle destiné à sensibiliser les intervenants de la santé à la nouvelle situation médicale vécue dans les pays occidentaux du fait de l'accélération des flux migratoires. Dans un ouvrage collectif coordonné par une pédopsychiatre, Sylvaine de Plaen, Gilles Bibeau, cofondateur de cette unité de pédiatrie interculturelle, montre comment l'anthropologie peut aider à mieux comprendre les diverses modalités d'expression de la souffrance des enfants et des adolescents ; ces « idiomes de souffrance » dans lesquelles parents et enfants formulent leurs plaintes ne devenant compréhensibles que lorsqu'on les observe à la lumière des systèmes collectifs de sens et de valeurs. Les interrogations de cet anthropologue sur l'évolution des normes et des pratiques des sociétés familiales contemporaines sont une démonstration de tolérance et d'ouverture d'esprit ; soulignant la prétention qu'il y a à exclure telle pratique ou à faire taire telle croyance au nom de notre orthodoxie et de notre rationalisme moderne, il plaide pour un pluralisme en pratique clinique, développement des liens entre anthropologie et pédiatrie par exemple, pour améliorer la qualité de la prise en charge des désarrois de bon nombre d'adolescents.
« L'Adolescence », Michèle Emmanuelli, « Que sais-je ? », Puf, 128 pages.
« L'adolescent face à ses actes et aux autres », Jean-Marie Forget, Erès, 206 pages, 23 euros.
« Une boussole pour la vie », Fabrice Hervieu-Wane, Albin Michel, 215 pages, 16 euros.
« Soins aux enfants et pluralisme culturel », sous la direction de Sylvaine de Plaen, éditions de l'Hôpital Sainte-Justine (université de Montréal, www.hsj.qc.ca/editions), collection « Intervenir », 136 pages.
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