EN DÉPIT (ou à cause) de son succès, M. Hessel a rapidement trouvé ses détracteurs, en général parce qu’ils pensent que l’indignation, contrairement à l’engagement politique, n’est pas bonne conseillère. On ne devrait pas nier cependant que l’auteur a eu une bonne idée : les informations scandaleuses dont nous sommes en permanence abreuvés ont peut-être émoussé notre capacité à réagir. Notre indignation est si souvent sollicitée par la cruauté des hommes que nous en faisons un moindre usage. Il est temps de réacquérir nos émotions adolescentes.
À quoi il serait utile d’ajouter que nous ne sommes pas tous indignés de la même manière et par les mêmes sujets. Quand, par exemple, Stéphane Hessel s’élève avec la dernière énergie contre le démantèlement des « acquis de la résistance » que sont la retraite et la Sécurité sociale, nous craignons qu’en ajoutant notre indignation à la sienne, nous n’assurions la faillite de ces systèmes, ce que tentent d’éviter des réformes auxquelles les Français sont majoritairement hostiles et dont il a été prouvé qu’ils en sont profondément indignés. Si nous voulions risquer de paraître sarcastiques, nous poursuivrions en constatant que la révolte du peuple contre la réforme des régimes de retraite ne l’a pas empêchée d’être adoptée, ce qui prouve de façon implacable l’inutilité de l’indignation dans ce cas précis.
LES RÉGIMES DICTATORIAUX SONT EUX AUSSI INDIGNÉS
Les affaires liées aux Droits de l’homme sont infiniment plus consensuelles : nous sommes tous derrière Bernard-Henri Lévy pour dénoncer le sort réservé à Sakineh par le régime iranien, qui a condamné cette femme à la mort par lapidation, pour une histoire d’adultère apparemment inventée de toutes pièces. Nous sommes indignés de ce que Lui Xiaobo n’ait pu se rendre à Oslo pour recevoir le prix Nobel de la paix ; pour autant nous ne l’avons pas arraché à sa prison chinoise. Nous sommes de tout cœur avec les Tibétains qui ne sont ni indépendants ni autonomes et ne le seront pas dans un avenir prévisible. Nous sommes scandalisés par les prises d’otages qui se terminent en massacre, comme au Niger. Nous vomissons un système financier qui ruine les petits épargnants et menace l’équilibre des États. Mais l’indignation n’est jamais que la première étincelle qui fait démarrer le moteur du changement. Si elle n’est pas suivie d’une élaboration, toujours longue et difficile, de la réforme (ou, si vous préférezn de la révolution), elle ne sert à rien sinon à produire des millions de messages sur Internet qui permettent à leurs auteurs d’avoir bonne conscience, de se situer dans le camp des braves mais ne les engagent guère à participer à une campagne susceptible d’abolir les privilèges ou les archaïsmes.
Enfin, l’indignation est plus unanimement partagée que la recherche des solutions équitables. Le gouvernement chinois est « indigné » de ce qu’on lui objecte les Droits de l’homme à propos de Lui Xiaobo, du Tibet ou de Taïwan. Son indignation, sa colère, sa révolte, face à la réputation désastreuse qui lui est faite, sont autant d’aliments à un statu quo désastreux pour les victimes du régime chinois. Nous sommes indignés que, sous couvert d’une justice aux ordres, Vladimir Poutine ait maintenu Mikhaïl Kodorkhovsky en prison jusqu’en 2017. Que son principal allié en Tchétchénie soit un tueur. Que les assassins de journalistes russes ne soient jamais arrêtés. Stéphane Hessel propose-t-il de couper les relations avec Moscou ? Il devra alors expliquer aux ouvriers des chantiers navals français pourquoi ils ont perdu leur emploi parce que la France n’aura pas vendu de « Mistral » à la Russie.
Enfin, à la liste des motifs d’indignation que nous propose le vénérable M. Hessel, qu’il permette à chacun de ses lecteurs de proposer la sienne. S’il dénonce avec verve le sort réservé aux Palestiniens, fort bien. Qu’il n’ait pas un mot (à défaut d’une condamnation ou d’une insulte) au sujet du Hamas, de son fanatisme et de ses crimes contre des civils est tout simplement confondant. Assurément, M. Hessel a le sens de son époque, faite surtout d’amalgames et de simplifications. Il y a une indignation politIquement correcte, toute faite d’airs entendus sur les plateaux de télévision (Sarkozy est nul, les Israéliens sont des monstres, c’est honteux de parler d’argent quand on pense à la souffrance humaine) et il y en a une autre qui n’est rien d’autre que l’amorce d’un voyage interminable dans les méandres infinis et multiples des sociétés contemporaines.
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