LA PRÉVENTION du saignement en anesthésie ne répond pas à une démarche bien codifiée. Les moyens utilisés dépendent du patient, du type de chirurgie, mais aussi des habitudes des anesthésistes-réanimateurs. Cette diversité des pratiques ne doit pas faire oublier l’objectif premier de la démarche. En effet, devant un patient ayant à subir une chirurgie hémorragique, la prévention du saignement a pour objectif de réduire le recours à la transfusion, ce qui devrait idéalement améliorer le devenir du malade. L’impact de la réduction des besoins transfusionnels sur le devenir du malade, par l’administration d’agents pharmacologiques visant à réduire le saignement, reste cependant mal connu. « Il est effectivement légitime de s’interroger sur les risques comparés liés à la transfusion, d’une part, et aux moyens disponibles pour réduire le saignement, d’autre part, et de rechercher le meilleur rapport bénéfice/risque pour le patient », note le Pr Van der Linden. Si les risques de transmission virale et d’erreur transfusionnelle sont bien connus, certaines complications comme la modification de l’immunité du patient, et le risque de sensibilité aux infections qui en découle, ne sont pas parfaitement démontrés. Par ailleurs, les études évaluant la sécurité d’emploi des agents pharmacologiques visant à réduire le saignement sont peu nombreuses et de qualité insuffisante pour en déduire des conclusions définitives. La balance bénéfice/risque doit être soigneusement évaluée et la réflexion s’intégrer dans une approche globale.
Capital sanguin et seuil transfusionnel.
La prévention du saignement doit faire partie d’une stratégie transfusionnelle bien codifiée au sein des services, ayant pour conséquence une meilleure utilisation des produits sanguins. Une politique transfusionnelle adaptée, tenant compte de la carence en produits sanguins actuelle et de sa probable aggravation dans les années à venir, doit permettre de privilégier les malades les plus à risque, qui auront besoin d’une transfusion quelle que soit l’épargne sanguine réalisée lors de l’opération, et d’éviter toute transfusion inutile aux autres patients. En fonction de l’état clinique et de l’intervention qu’il va subir, un seuil transfusionnel doit être clairement défini et admis par tous les praticiens s’occupant du patient, dans le cadre d’une prise en charge cohérente et unifiée.
Cette prise en charge commence avant l’arrivée du malade en salle d’opération, par la recherche d’une amélioration de son capital sanguin préopératoire : corrections des anémies carentielles, érythropoïétine… Une prédonation peut éventuellement être envisagée pour une autotransfusion, après s’être assuré que le patient peut restaurer son capital sanguin avant l’opération. En salle d’opération, la prévention du saignement passe par différents moyens, pharmacologiques et non pharmacologiques. Les techniques autologues sont essentiellement l’hémodilution normovolémique et la récupération du sang peropératoire. Les techniques non pharmacologiques incluent le positionnement du malade sur la table d’opération, la gestion tensionnelle peropératoire, mais aussi et surtout les soins d’hémostase réalisés par le chirurgien. La prévention pharmacologique consiste en l’administration de traitements antifibrinolytiques : acide tranexamique, aprotinine et acide epsilon-aminocaproïque qui n’est pas disponible dans tous les pays.
Conséquences du retrait de l’aprotinine.
Le retrait de l’aprotinine du marché en 2008 a été l’occasion d’engager une réflexion sur l’utilisation de ces antifibrinolytiques. En effet, la molécule était largement utilisée depuis plus de 20 ans. De nombreuses études avaient démontré l’efficacité de ce traitement pour diminuer le saignement et la transfusion, mais aucune n’avait étudié le devenir du patient à moyen terme. Le risque de thrombose veineuse postopératoire était connu et quelques travaux rétrospectifs avaient évoqué la possibilité d’une aggravation des complications postopératoires. Mais ce n’est qu’en 2008, que l’étude prospective randomisée canadienne BART, ayant comparé l’aprotinine aux autres antifibrinolytiques, a démontré l’existence d’un excès de mortalité dans le groupe aprotinine, conduisant finalement à son retrait du marché.
Le retrait de la molécule a eu pour conséquence de reporter la plupart des prescriptions sur l’acide tranexamique. Cependant, certains commencent à pointer des effets indésirables avec ce dernier traitement également. C’est dans ce contexte que l’équipe du Pr Philippe Van der Linden a engagé une réflexion sur la gestion du risque hémorragique en chirurgie cardiaque pédiatrique, au sein de son service d’anesthésie à l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola de Bruxelles, à travers une étude rétrospective comparant leurs pratiques avant et après le retrait de l’aprotinine. Quelles ont été ses répercussions en termes de prescriptions d’antifibrinolytiques et quelles en ont été les conséquences cliniques pour les patients ? Dans le service d’anesthésie pédiatrique, l’aprotinine était administrée à tous les enfants pour limiter les saignements, mais aussi pour bénéficier de ses propriétés anti-inflammatoires. Suite à son retrait, l’acide tranexamique a pris sa place. Les résultats de cette étude, présentés au dernier congrès de la SFAR, ont montré qu’il n’y avait eu aucun changement en termes de morbi-mortalité, ni en termes de pratiques transfusionnelles, alors que l’aprotinine était considérée comme plus efficace. Ces résultats pointent clairement l’inefficacité des prescriptions systématiques.
Ces constatations contribuent à remettre en cause la stratégie d’utilisation de ces traitements pharmacologiques. Intégrer leur prescription dans une stratégie globale définie au sein d’un service, mieux connaître sa population de patient et tenir compte des effets secondaires des traitements au sein de cette population donnée, ne pas prescrire systématiquement, mais raisonner avant tout en fonction du devenir du patient et de la balance bénéfice/risque individuelle, fait partie des pistes de réflexion indispensables à une meilleure prise en charge du risque hémorragique chirurgical.
› Dr CAMILLE CORTINOVIS
D’après un entretien avec le Pr Philippe Van der Linden, anesthésiste à l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola, Bruxelles.
Bibliographie :
- Fergusson DA, Hebert PC, Mazer CD et al. A comparison of aprotinin and lysine analogues in high-risk cardiac surgery. N Engl J Med 2008;358:2319-31.
- Kimberly G. Modification de l’approche pharmacologique du saignement en chirurgie cardiaque pédiatrique : effets sur la morbidité et la mortalité postopératoires. Mémoire de fin de formation DES Anesthésie-Réanimation, ULB, Bruxelles, 2009.
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