LE QUOTIDIEN : Les résultats publiés par les chercheurs de la Mayo Clinic et de l'université du Kentucky sont-ils une première médicale ? Sont-ils reproductibles à plus grande échelle ?
Pr PHILIPPE THOUMIE : Il faut dissocier l'aspect neurophysiologique de l’intérêt clinique de ces publications. D'un point de vue neurologique, ces articles prouvent que l'on peut « réveiller » une marche et lever l'inhibition du générateur spinal de la marche, ce qui est très important. Concernant l’aspect fonctionnel et social, les résultats obtenus sont à 10 000 lieues de ce que l'on peut espérer obtenir avec d'autres techniques en cours de développement. Dans l’article de la Mayo Clinic, le patient marche sur 100 m à la vitesse de 0,2 m/s, soit un cinquième de la vitesse de la marche normale, au prix de 15 à 85 semaines d’entraînement intensif. Un exosquelette motorisé permettrait un meilleur résultat en 4 à 6 semaines.
GRÉGOIRE COURTINE : Il est difficile de se prononcer sur le terme de « première médicale ». Des résultats similaires ont été obtenus chez une ou deux personnes en utilisant des techniques différentes. Je pense que c'est encore trop anecdotique pour tirer des conclusions pour l'avenir. Il s'agit là avant tout d'une preuve de concept et l'approche des chercheurs reste extrêmement empirique. Par ailleurs, ils reconnaissent d'ailleurs ne pas savoir quels sont les mécanismes impliqués.
Depuis combien de temps essaye-t-on d'utiliser la stimulation électrique pour améliorer la rééducation des lésés médullaires ?
G.C. : Les premières stimulations de ce genre datent d'il y a 15 ans. Nous avions observé des mouvements volontaires des membres inférieurs chez l'animal. L'idée est que les fibres encore intactes se réorganisent grâce à la rééducation tandis que l'électrostimulation « réveille » la moelle épinière située en dessous de la lésion.
Pr P. T. : On sait depuis longtemps que, si l'on place un chat ou un rat sur un tapis roulant, ils peuvent marcher de façon automatique. Chez l'Homme, c'est beaucoup plus compliqué, mais on a des patients chez lesquels on parvient à activer des réseaux d’interneurones constituant le générateur spinal de marche, et à déclencher un programme moteur automatique de manière périphérique.
Une grande partie des mouvements de la marche ne nécessite pas d'informations provenant du tronc cérébral, et repose sur le réseau locomoteur spinal. Dans quelle mesure la marche peut-elle se passer de connexion avec le tronc cérébral ?
G. C. : Il y a effectivement une large autonomie mais une marche équilibrée nécessite beaucoup d’informations provenant du cerveau. C'est la raison pour laquelle la place de la lésion est importante. Si les motoneurones innervant les fibres musculaires sont atteints, il n'y a pas d'amélioration possible.
Pr P. T. : La connexion avec le cervelet reste importante pour traiter les informations somesthésiques et maintenir l'équilibre de la marche. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas que la lésion soit trop basse ou trop haute : pas plus basse que la vertèbre T6 ou T7 pour préserver les métamères lombaires, et pas plus haute que la vertèbre T2 pour préserver le rachis cervical et conserver une mobilité des membres supérieurs.
La technique de stimulation épidurale pourrait-elle être améliorée en vue de restaurer plus efficacement la marche ?
Pr P. T. : Il faudrait une stimulation plus fine : avec un programme pour rétablir la verticalisation et un autre pour la locomotion. Des travaux très importants sur les injections de neurones peuvent aussi être mis à contribution. On peut aussi imaginer l'association d'une stimulation de surface et d'orthèses.
G. C. : Il faudrait aussi une stimulation électrique plus physiologique que la stimulation continue employée dans ces 2 publications : une stimulation spatio-temporelle qui correspond à la stimulation des régions de la moelle épinière impliquée dans la marche, à un rythme qui correspond à celui de leurs activations au cours d'un cycle de marche. L'efficacité de cette technique dépend aussi grandement de la quantité de moelle épinière restante, il va donc falloir la combiner avec une réparation des tissus nerveux via des techniques de thérapie cellulaire.
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