ILS NE SURVIVENT plus que dans la littérature classique, la philosophie ou... les péplums hollywoodiens. Beaucoup ont gardé de l’Antiquité de vagues souvenirs de jupettes et de temples grisâtres. Le lien avec ce monde s’est rompu, on récite encore deux ou trois vers d’une tragédie, mais tout cela n’est qu’une affaire de prof de philo ou de spécialiste en épigraphie helléniste.
Il y a une autre explication, dit Roger-Pol Droit. Notre monde technique s’est totalement livré à la sélection par les mathématiques. Les enfants de milieux cultivés auraient toujours la chance d’entendre parler d’Aristophane à la maison. Or les richesses humaines des Anciens sont indispensables. Homère, c’est le mode bruyant et joyeux de chanter l’histoire et la tradition ; Sophocle la passion, le meurtre et la tragédie, éternellement renouvelés.
N’oublions pas que les temples n’étaient pas gris mais souvent rouge vif. Je crois, dit notre conteur, « à une Antiquité colorée. Je l’imagine bien plus bigarrée, plus métisse, plus baroque que nos représentations habituelles. » Ni symétrique, ni glacée, tout autant dionysiaque qu’apollinienne, aurait dit Nietzsche. De fait, l’archéologue allemand Vinzenz Brinkman a fait le catalogue des pigments, bleu roi, jaune vif, rouge criard, qui recouvraient le marbre blanc, et l’auteur redonne dans ces pages couleurs à ce monde démomifié.
Nous sommes alors prêts à plonger dans les récits d’Homère, dans lesquels s’entrexpriment la parole et le monde, le chant et la réalité. C’est pour cela qu’elle est perlée de ces épithètes homériques, comme « l’aurore aux doigts de rose », afin de bien baliser, marquer et donc faciliter la récitation.
Avec Virgile le calme, Rome, bien des siècles après, s’inscrit dans l’image d’Homère, mais en inverse la perspective. « L’Énéide » a pour trame la défaite posthume des Grecs, la vengeance des Troyens.
Quel curieux personnage que cet Héraclite qui surgit en 548 avant notre ère et dont nous n’avons conservé que de menus fragments, comme d’éclatantes et incomplètes poteries. Comment peut-il asseoir une vague pensée en répétant que « tout coule, rien ne reste » ? Tout simplement en assurant que quelque chose permane, c’est le changement.
Faire la paix avec la mort.
Après vous être reposé au jardin d’Épicure, sans pour autant avoir joui comme un pourceau, vous vous résignerez dans le portique à ce qui ne dépend pas de nous. Hein ! Quoi ? Que peut signifier aujourd’hui cette maxime ? Se laisser aller à la maladie sous prétexte que la guérison dépend d’autrui ? N’a-t-on pas le droit de penser que ces sagesses nous enjoignent de façon un peu obsédante de faire la paix avec notre propre mort ? Peut-être, rétorquera Roger-Pol Droit, à condition de se souvenir que la mort n’est rien, que seul le trépas est important, c’est le moment de vérité crucial.
Par ailleurs, ce qui fait la force de ces pensées, nous est-il montré, c’est que les Anciens ne séparaient pas, ne cloisonnaient pas mais reliaient les différents aspects du monde. Ainsi, « pas de politique sans affect, pas de pensée sans finitude, pas de raison sans politique ».
Loin de vaguement éclairer un musée de momies figées par des colonnades poussiéreuses, ce livre montre tout ce qui relie les humanités à l’Humanité.
Roger-Pol Droit, « Vivre aujourd’hui - avec Socrate, Épicure, Sénèque et tous les autres », Odile Jacob, 228 p., 21 euros.
* Odile Jacob, 2001.
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