LES JOURS ONT PASSÉ et la polémique n'est pas retombée. Au contraire. Sauf retournement de situation de dernière minute, les urgentistes entament ce matin une grève illimitée. Ils le font à l'appel de l'Amuf (Association des médecins urgentistes de France), et la mobilisation s'annonce forte puisque Patrick Pelloux, président du syndicat, a d'ores et déjà pronostiqué 100 % de grévistes dans plusieurs régions (Nord, Poitou-Charentes, Bretagne...).
Dans ce nouveau soulèvement des services d'urgences, les enjeux sont doubles. Pour une part, ils sont strictement hospitaliers, les urgentistes réclamant davantage de moyens, s'inquiétant de la déclinaison en 2005 du plan Urgences et s'impatientant de ne jamais voir les décrets publiés, en préparation depuis dix ans, qui réorganisent les services d'urgences, les Samu et les Smur. Sur ces questions, « on veut autre chose que des promesses de travail », prévient le Dr Frédéric Pain, secrétaire général de l'Amuf.
Cette facette « technique » de la crise a donné lieu, dès mercredi dernier, à une réunion au ministère de la Santé. Sans résultat immédiat. « Nous allons nous revoir pour discuter des modalités de répartition de l'enveloppe 2005 [du plan Urgences, ndlr] en donnant la priorité aux endroits où il y a des besoins urgents », indique Jean Castex, directeur de l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins et pilote de ces discussions.
La PDS met le feu aux poudres.
Mais depuis une semaine, l'arbre des problèmes strictement hospitaliers ne cache plus la forêt de la permanence des soins (PDS) tout entière. Voilà le second enjeu de la grève qui commence aujourd'hui : la polémique entre les généralistes libéraux (sur le point d'organiser leurs propres gardes) et les urgentistes qui leur reprochent ni plus ni moins de leur avoir « refilé le bébé » en désertant le terrain de la PDS. Une accusation à ce point mal vécue par certains qu'elle a donné lieu à quelques dépôts de plainte - l'Unof-Paris a porté l'affaire devant l'Ordre, en accusant le Dr Pelloux de « non-confraternité » - et soulevé moult commentaires acerbes - le Dr Dinorino Cabrera, président du SML, dénonce « le procédé "médiatiquement incorrect" utilisé par l'urgentiste », tandis que le Dr Michel Ducloux, président de l'Ordre, évoque des « affirmations outrageantes ». Quant au Dr Michel Chassang, président de la Csmf, il met les points sur les « i » : « Si le job de Pelloux, c'est de répondre aux urgences et d'assurer la garde, celui du généraliste est d'ouvrir son cabinet et d'assurer les consultations 58 heures par semaine. Les généralistes assurent également des gardes en dehors des heures d'ouverture car ils sont responsables. Ils ne méritent pas le manque de respect de Patrick Pelloux. »
Dans ce climat explosif, comment les libéraux ont-ils reçu l'idée de l'Amuf de les faire participer à un « Grenelle » des urgences (une grand-messe réunissant libéraux et hospitaliers « pour réfléchir à l'organisation du système de soins, la permanence des soins et l'accès aux soins » qui n'est pas sans rappeler le grand « Forum des urgences » mis sur pied par Bernard Kouchner en... 1998) ? Bizarrement, la balle est dans leur camp. Car au ministère de la Santé, pour l'instant, on botte en touche - « Le Dr Patrick Pelloux a adressé la demande d'un Grenelle des urgences aux médecins libéraux. On va voir leur réponse », explique Jean Castex au « Quotidien ».
Du « non » au « pourquoi pas ».
Or ce que l'« on voit » pour l'instant, c'est que les libéraux, pressés d'en finir avec leur propre dossier en matière de PDS, ne débordent pas d'enthousiasme. Certains sont même sur une ligne très dure. Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, en fait partie, qui met les pouvoirs publics au pied du mur : « Il est, prévient-il , hors de question d'ouvrir des discussions ou des négociations avec les urgentistes avant que ne soit paru le décret sur la PDS. (...) Si le ministre ne réagit pas rapidement, MG-France n'hésitera pas à lancer rapidement les généralistes dans un mouvement de grève générale. » D'autres n'hésiteront pas non plus. Le Dr Jean-Paul Hamon, porte-parole de la Conat, ne fait ni une ni deux. « Un "Grenelle", c'est une mascarade !, tonne-t-il. Que cette idée soit maintenue et la Conat lancera la grève générale et illimitée des gardes. »
Sans aller aussi loin dans la menace, le président de la FMF, le Dr Jean-Claude Régi, ne croit pas en l'efficacité d'une nouvelle grand-messe : « Pourquoi se mettre à nouveau autour d'une table ? Tout a été dit, fait et proposé. On sait ce qu'il faut faire. Ce qui manque, c'est le financement. » Même constat du côté de la Garde médicale de Paris où le Dr Dominique Monchicourt « veut bien tout ce qu'on veut », mais « ne voit pas l'intérêt » d'une énième réunion. Au SML, le Dr Cabrera n'est pas aussi catégorique mais s'interroge : « Je ne sais pas si j'irai (à un Grenelle) tant que le décret sur la permanence des soins ne sera pas sorti, confesse-t-il . On a travaillé sur le dossier avec Descours, Couty, Castex... Il serait temps de régler ce dossier explosif. »
Le Dr Chassang, lui, fait preuve d'une certaine ouverture... tout en posant des conditions. « Nous n'avons aucun ordre à recevoir de M. Pelloux, prévient-il d'entrée de jeu. Mais si le gouvernement prend l'initiative d'une réunion avec tout le monde pour mieux coordonner et préciser le rôle de chacun, pourquoi pas ? Mais pas question d'y négocier la PDS qui est du ressort conventionnel ! »
Finalement, seul le Dr Jean-Gabriel Brun, vice-président d'Alliance-Uccsf, joue la carte de l'apaisement : « L'idée d'une grande conférence rassemblant les uns et les autres pour ranimer les bonnes volontés me paraît intéressante. »
Il semble toutefois peu probable que les libéraux tendent directement la main au Dr Pelloux. Se gardant bien d'accepter la patate chaude, ils la rendent bien vite aux pouvoirs publics. « Le ministre ne se défaussera pas de ses responsabilités en jouant avec les divisions entre les généralistes et les médecins de service de porte », résume, sévère, le Dr Costes.
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