L’OPPOSITION N’HÉSITE PAS à dire que, confrontée à un déficit de démocratie (la menace du 49/3 et une majorité absolue qui date de plus de quatre ans), elle est bien obligée de recourir à des moyens exceptionnels pour empêcher ce qu’elle considère comme un désastre industriel. Un porte-parole socialiste a rappelé, au sujet des 137 000 amendements, que les Anglais (et les Américains) utilisent une procédure identique, le filibustering, qui permet à des parlementaires de prendre la parole sans être interrompus, ce qui empêche le scrutin final. Mais dans les deux cas, il s’agit bel et bien d’obstruction.
Trop vite.
L’opposition rejette le terme, elle ferait mieux de l’admettre, ce qui n’enlèverait rien à son argumentation, qui repose en quelque sorte sur le désespoir. Elle fait de l’obstruction en désespoir de cause ; car le projet sera fatalement adopté, sans doute au moyen du 49/3, article de la Constitution qui met fin à un débat parlementaire si le gouvernement pose la question de confiance.
Mais qu’est-ce qui oblige le gouvernement à aller aussi vite, à renverser tous les obstacles et à faire adopter le projet à la hussarde ? On croyait Dominique de Villepin guéri de ses combats donquichottesques contre le mécontentement populaire. Apparemment, il n’est pas sorti plus prudent de l’expérience douloureuse qu’il a eue avec le contrat première embauche (CPE), qu’il a fallu ne pas appliquer aprèsque la loi sur l’égalité des chances qui le créait fut adoptée. C’était bien la preuve que la soumission du Parlement à l’exécutif ne fonctionne plus et qu’il y a un danger politique réel à vouloir légiférer à tout prix dans un climat d’émeute. On dit d’ailleurs que Nicolas Sarkozy ne déborde pas d’enthousiasme pour la loi : comment s’en étonner alors qu’il a promis de supprimer l’article 49/3, vestige démodé du gaullisme autoritaire ?
Avec Suez-GDF, nous en sommes aujourd’hui au même point : l’opposition n’est pas tout à fait sotte qui, en multipliant à l’infini les amendements, pousse M. de Villepin à la faute et espère, au fond, réitérer sa victoire sur le CPE. Pas sotte, mais folle. Et qu’elle ne se plaigne pas du déficit de démocratie dans ce pays. Le nombre de ses amendements ridiculise le système ; ce n’est pas cette pantalonnade parlementaire qui donnera aux jeunes l’envie de voter l’an prochain. Le plus triste, c’est que, dans le combat politique, la fin justifie tous les moyens, de sorte que, non seulement les socialistes et les communistes ont poussé le grotesque au-delà de ses limites, mais en plus ils ont le front de justifier leur manoeuvre.
MANIFESTEMENT, VILLEPIN N'A PAS PROFITE DE L'EXPERIENCE DU CPEUn risque d’illégitimité.
A l’inverse, la France n’a-t-elle pas assez de soucis naturels pour ne pas s’en inventer ? N’avons-nous pas besoin d’un climat plus serein pour mettre à profit le temps qui nous reste avant les élections générales et nous livrer à un débat national sérieux ? Certes, notre politique énergétique des années à venir est vitale. Mais elle ne sera pas plus faible ou moins efficace si nous nous donnons quelques semaines de plus avant de légiférer sur le sujet. Trop de doutes ont été exprimés dans les milieux politiques, économiques et sociaux les plus divers sur le projet pour qu’il ne comporte pas des inconvénients, à éliminer avant que nous soyons ligotés par la loi.
Le gouvernement affirme qu’il ne faut pas perdre de temps, que les menaces qui s’accumulent sur l’approvisionnement en énergie de la France doivent être rapidement écartées, que tout a été dit sur le sujet et que l’opposition ne changera d’avis ni dans un mois ni dans un an. Il demeure qu’une loi enfoncée dans la gorge des gens sans leur consentement, sans un riche débat parlementaire et par la force risque de rester entachée de quelque illégitimité. On a fini par le comprendre à propos du CPE, lequel n’était pas aussi important pour le pays que la privatisation de Gaz de France. Mais, une fois encore, la majorité affronte les foudres de l’impopularité à quelques mois des élections avec un comportement de somnambule.
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