LE CAS RAPPORTÉ par « The Lancet » est unique. Il concerne une maladie rare, le déficit en 3-phosphoglycérate-déshydrogénase (3-Pgdh), trouble de la synthèse de la sérine. Mais il s'agit d'une réussite thérapeutique qui, dès lors qu'elle a commencé in utero, mérite d'être rapportée.
Un rappel clinique pour commencer. Affection d'origine génétique, le déficit en 3-Pgdh se caractérise par une microcéphalie congénitale, un retard psychomoteur sévère et une comitialité rebelle aux traitements.
Le cas que relatent T. J. de Koning et coll. (Utrecht, Pays-Bas) est celui d'un couple ayant des liens de consanguinité. Ce couple a déjà deux enfants sévèrement atteints par l'affection génétique. De fait, chacun des parents est porteur de la mutation V490M du gène de la 3-Pgdh et leurs enfants sont homozygotes pour cette mutation.
Pour la troisième fois, un enfant homozygote.
Une troisième grossesse commence, le couple est vu pour un dépistage génétique. A 10 semaines de gestation, un prélèvement des villosités chorioniques est réalisé. Pour la troisième fois, l'enfant est homozygote. Les parents souhaitent une interruption de grossesse.
Les médecins néerlandais prennent alors un risque. Ils proposent de traiter le fœtus par L-sérine, en supplémentant la maman. Toutefois, les données scientifiques sur le sujet, notamment les bénéfices ou les risques pour l'enfant à naître, sont rares. Aussi les médecins proposent-ils aux parents (et au comité d'éthique) de n'instaurer la supplémentation que si la surveillance échographique montre l'apparition d'une microcéphalie ou en cas de chute des taux sériques de L-sérine chez la mère.
De la L-sérine trois fois par jour chez la mère.
Alors que le volume céphalique est normal à 20 semaines de grossesse, il diminue graduellement jusqu'à la 26e semaine. La décision de supplémenter la maman est prise. Elle reçoit trois fois par jour 5 g de L-sérine (190 mg/kg).
C'est alors que commence le succès. Dans les cinq semaines qui suivent la mise en route du traitement, la tête du foetus se met à grossir rapidement, puis le rythme se ralentit, mais persiste. Une petite fille naît sans complications. Sa taille et son poids se situent au 40e percentile, son périmètre crânien au trentième.
L'examen clinique de l'enfant est normal. Les taux de sérine et de glycine au cordon sont bas. Seule la sérine plasmatique est basse à la naissance, pour chuter gravement dans les douze heures suivantes (de même que dans le LCR). L'IRM cérébrale ne montre pas d'anomalie, mais à l'EEG existe une discrète activité comitiale. Un traitement par L-sérine est mis en place (400 mg/kg/j) chez le bébé, normalisant l'EEG.
IRM cérébrales normales à 12 et 24 mois.
Cette histoire se passait voici quatre ans. La fillette n'a aucune anomalie du développement tant physique que psychomoteur. Les IRM cérébrales à 12 et 24 mois étaient normales. La fillette reçoit actuellement 500 mg/kg/j de L-sérine.
« Notre travail suggère qu'un traitement par L-sérine au cours de la grossesse améliore la croissance du cerveau foetal... et, en association avec un traitement postnatal, prévient la survenue de symptômes neurologiques jusqu'à l'âge de 4 ans... Quand les concentrations maternelles en acides aminés sont artificiellement augmentées, la sérine et la glycine sont transportées en quantité suffisante », notent les auteurs. Ils poursuivent : « L'augmentation du périmètre crânien après l'instauration du traitement suggère que la L-sérine a atteint le cerveau fœtal. La décélération de la croissance cérébrale vers la fin de la grossesse peut suggérer que les quantités d'acides aminés données étaient insuffisantes par rapport aux besoins ou que des modifications du transport à travers la barrière hémato-méningée sont apparues. »
Ce travail montre qu'une intervention biochimique et pharmaceutique prénatale peut agir sur une affection sévère potentiellement létale. Ce constat, proposent les chercheurs néerlandais, pourrait être appliqué à d'autres affections, notamment le syndrome d'alcoolisme foetal.
L'enthousiasme des auteurs est tempéré par deux éditorialistes (R. Pollitt et M. J. Sharrard, Sheffield, Royaume-Uni). Ils rappellent qu'il y a loin d'une observation isolée à une preuve formelle. Et il se passera beaucoup de temps avant qu'une série convaincante ne soit publiée. Les comités d'éthique risquent d'être difficiles à convaincre.
« The Lancet » vol. 364, 18-25 décembre 2004, pp. 2158-2160 (éditorial) et 2221-2222.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature