Le DSM – succès et limites
Le DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), classification diagnostique de l’association américaine de psychiatrie, suscite chez les psychiatres français des réactions diverses, allant de l’intérêt au rejet franc. En effet, le DSM-III (1980) est associé au retour de la psychiatrie vers un courant biomédical, et au déclin relatif des courants sociaux et psychodynamiques. Le DSM a redécouvert les idées de Emil Kraepelin (1856–1926), psychiatre allemand fondateur de la nosologie psychiatrique moderne, qui soulignait que les troubles mentaux sont des affections médicales, accessibles à la recherche scientifique. Une autre raison de craindre le DSM est de voir en lui un cheval de Troie de la psychiatrie américaine, ou un nouvel avatar de la mondialisation.
Le DSM-III rompait avec les éditions précédentes en définissant les troubles mentaux par des listes de critères diagnostiques et en créant plusieurs axes pour permettre, par exemple, de diagnostiquer simultanément les troubles mentaux aigus (axe I) et des troubles de la personnalité (axe II). Des versions successives suivirent à un rythme rapide (DSM-III-R en 1987, DSM-IV en 1994, DSM-IV-TR en 2000), mais il ne s’agissait plus que d’adaptations et de révisions. Aujourd’hui, une nouvelle version est annoncée – le DSM-V – mais nous devrons patienter jusqu’à 2011. L’attente sera longue parce que l’instrument diagnostique doit être de nouveau totalement refondu. Le DSM-IV-TR ne répond plus aux besoins de la psychiatrie actuelle et il fait l’objet de critiques nombreuses. Les catégories diagnostiques actuelles ne peuvent plus rendre compte de la complexité d’affections comme la dépression et la schizophrénie, où les facteurs étiologiques, les formes cliniques et les types de réponses au traitement sont hétérogènes. Le nombre de catégories diagnostiques a augmenté avec chaque nouvelle révision (le DSM-IV-TR propose le sevrage à la caféine, l’état de transe dissociative, etc., dans les catégories prévues pour des études complémentaires). Plusieurs catégories sont relativement redondantes ; c’est, par exemple, le cas de la phobie sociale et de la personnalité évitante, alors que la personnalité schizotypique est très proche de la schizophrénie. Dans le domaine des troubles liés à des substances, les critères actuels de dépendance sont critiqués en raison de leur côté générique. Actuellement, les mêmes critères sont censés s’appliquer à toutes les substances, aussi bien l’héroïne que la nicotine. Ainsi, les critères du DSM pour la dépendance à la nicotine sont peu utilisés aujourd’hui par les spécialistes de ce domaine, qui préfèrent d’autres instruments, tels que des adaptations de l’échelle de Fagerström. Le terme de dépendance pourrait être d’ailleurs abandonné dans le DSM-V, et remplacé par addiction.
Vers le DSM-V – une refonte totale ?
Le processus de préparation du DSM-V est entamé. Un groupe de travail, la DSM-V Task Force, présidé par David J. Kupfer (Pittsburgh) et vice-présidé par Darrel A. Regier (Washington), est en voie de constitution. Onze conférences internationales, associant des experts non américains, ont été planifiées entre décembre 2004 et septembre 2006 pour recenser les données récentes dans les grandes catégories nosologiques (psychoses, démences, etc.) et en méthodologie (approche dimensionnelle, impact des classifications sur la santé publique). Notons que les troubles anxieux sont regroupés de manière nouvelle dans ces conférences : le trouble anxieux généralisé est rattaché à la dépression, l’état de stress post-traumatique reste avec les autres troubles anxieux, le trouble obsessionnel-compulsif est à part. Un site Internet spécifique (www.dsm5.org) sert de forum, accueille les suggestions, présente les résumés des conférences déjà tenues, et permet de télécharger gratuitement le livre édité par Kupfer et al. en 2002 (« A Research Agenda for DSM-V »).
Dimensions de personnalité
Le DSM-V devrait associer une approche dimensionnelle à l’approche catégorielle. Des dimensions sont proposées depuis longtemps dans les troubles de la personnalité, où il est difficile d’affirmer qu’une catégorie diagnostique est totalement présente ou absente, ce qui aboutit à ce que le diagnostic le plus souvent porté soit celui de trouble de la personnalités « non spécifié ». De nombreuses dimensions de personnalité sont décrites, par exemple les « big five » (extraversion, stabilité émotionnelle, ouverture d’esprit, caractère consciencieux, amabilité). Plusieurs dimensions sont maintenant traditionnelles dans la schizophrénie : une dimension délirante (les hallucinations, les croyances délirantes), une dimension de désorganisation (les troubles du cours de la pensée) et une dimension négative (aboulie, déficit cognitif). Les dimensions peuvent être évaluées par des échelles de cotation, qui existent déjà ou qui sont à créer. On peut remarquer que certaines échelles de cotation existantes suivent déjà fidèlement les critères diagnostiques du DSM, par exemple la Caps (Clinician Administered PTSD Scale) dans l’état de stress posttraumatique.
Biologie, imagerie, génétique
Le DSM-V devrait intégrer plus de facteurs issus de la biologie, de l’imagerie et de la génétique. Les troubles mentaux ne sont pas causés généralement par des gènes uniques, mais les gènes interviennent en interaction avec l’environnement dans le cadre des affections complexes. On peut citer par exemple le polymorphisme du promoteur du gène du transporteur de la sérotonine – le fait d’avoir un allèle court étant associé à une réactivité plus importante de l’amygdale, à un tempérament anxieux, et à une prédisposition à la dépression dans un environnement nocif (Pezawas L. et al., « Nature Neuroscience », 2005). Le cannabis produit plus de troubles schizophréniques chez les porteurs de l’allèle valine du gène de la catéchol-O-méthyltransférase (Comt), ce qui est un autre exemple d’interaction entre un gène et l’environnement (Caspi A. et al., « Biological Psychiatry », 2005). Le diagnostic des démences (pour l’instant clinique, et éventuellement confirmé par l’autopsie) devrait inclure des paramètres d’imagerie cérébrale ou génétiques (allèles APOE).
Il est prévu que le chapitre sur la psychiatrie de la CIM-10 (classification internationale des maladies de l’OMS) évolue pour rester compatible ou identique au futur DSM-V. Rappelons que la CIM est la classification qui s’impose officiellement en France.
Médecin psychiatreCentre hospitalier de Rouffach, 68250ma.crocq@ch-rouffach.fr
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