TONY BLAIR a lui-même reconnu que sa victoire est mitigée, puisqu'il a évité tout triomphalisme et qu'il a demandé au Labour de se mettre à l'écoute des Anglais. Il a néanmoins réussi un tour de force car il ne faut pas oublier que l'engagement du Royaume-Uni en Irak lui a coûté très cher : non seulement l'opinion lui a reproché une participation à la guerre que rejetait une majorité de Britanniques, mais son propre parti s'est scindé alors entre blairistes et antiblairistes ; deux ministres, notamment Clare Short, qui, depuis, ne cesse de le harceler, avaient démissionné.
Tout le monde est content.
Sur le plan strictement politique, les travaillistes ont bénéficié de l'émergence d'un troisième parti, les libéraux, dont le score n'est pas éloigné de celui des Tories (conservateurs), lesquels ont refait une partie du chemin perdu. On pourrait donc dire au lendemain de cette élection que tout le monde est content.
L'exploit de Tony Blair est double : non seulement le Labour obtient un troisième mandat, ce qui est sans précédent dans la longue histoire de la Grande-Bretagne, mais lui-même reste à la tête du gouvernement.
Cela n'allait pas de soi. Car ce n'est pas le Labour qui est impopulaire : le peuple britannique est fort satisfait d'une politique économique et sociale conduite par Gordon Brown qui a donné d'impressionnants résultats, avec une croissance soutenue, un taux de chômage au-dessous de 5 %, une inflation maîtrisée, un niveau de vie qui, sous M. Blair, a rattrapé puis dépassé celui des Français. Or Gordon Brown est candidat au poste de Premier ministre depuis toujours et a dû y renoncer jusqu'à présent parce qu'il ne pouvait rivaliser avec le charisme de Tony Blair. M. Brown piaffe d'impatience, d'autant que son supérieur direct ne cesse de lui dire qu'il va lui remettre le pouvoir. D'aucuns pensent à Londres que M. Blair, cette fois, ne resterait que deux ans au 10 Downing Street.
La troisième voie.
On est donc en droit d'imaginer que, si Tony Blair avait annoncé des élections anticipées et s'était effacé aussitôt, le Labour, sous la houlette de Gordon Brown, aurait fait un bien meilleur score. Beaucoup de députés travaillistes ont perdu leur mandat jeudi dernier uniquement parce que Tony Blair est cordialement détesté par une bonne partie du peuple.
Le Premier ministre rejette sans doute cette analyse et pense que, sans lui, le Labour aurait perdu. Objectivement, on ne voit pas pourquoi : c'est Gordon Brown qui a mené à bien son projet de third way (troisième voie), dont le succès est incontestable. Comme chacun sait, Tony Blair s'est surtout fait connaître à l'étranger où il a redoré le blason britannique. Il n'a cessé de faire de la politique étrangère, laquelle, en définitive, n'a pas été du goût de ses concitoyens. Par le charme et la négociation, il a simplement fait en sorte que son parti lui renouvelle sa confiance. Mais il n'est plus indispensable au succès du Labour.
En France, on ne saurait rester indifférent à ce qui se passe en Grande-Bretagne. La comparaison des paramètres est édifiante. En 1997, Jacques Chirac a procédé à des élections anticipées et les a perdues ; à propos de l'Irak, il a adopté une position diamétralement opposée à celle de M. Blair, mais son gouvernement est très impopulaire et le président ne se risquerait pas aujourd'hui à dissoudre l'Assemblée. Depuis 2002, le chômage a progressé en France, nous perdons des marchés extérieurs, et nous n'avons pas le financement de nos réformes.
Parlant de l'Europe mardi dernier, le chef de l'Etat a mentionné l'expérience socio-économique du Royaume-Uni, dont il a salué les résultats tout en expliquant qu'on ne pouvait pas appliquer la même politique en France. Plus généralement, le président s'est livré à un assaut général contre le libéralisme, celui-là même qui inspire pourtant l'action de son Premier ministre.
La vérité est que, en dépit de l'exemple fort convaincant donné par les Britanniques, le libéralisme en économie a très mauvaise presse en France et que si M. Chirac semble lui être hostile, c'est principalement pour ne pas perdre ce qui lui reste de popularité. Les Anglais ne sont pas fous : après avoir renfloué leur économie, ils se sont mis à faire des dépenses d'équipement, d'éducation, de santé. Le Royaume-Uni n'est donc pas ce monstre asocial qu'on décrit dans nos débats télévisés ; simplement, les travaillistes ont compris qu'on ne pouvait pas faire de grosses dépenses sans avoir d'abord gagné l'argent qu'on veut leur consacrer.
RIEN NE NOUS OBLIGE À CHOISIR LE MODÈLE BRITANNIQUE. MAIS NOUS FERIONS MIEUX D'EN CHOISIR UN
Deux choses à la fois.
D'ailleurs, la situation du Royaume-Uni est déjà moins favorable, à cause des investissements qu'il fallait faire dans le secteur public. L'excédent budgétaire s'est transformé en déficit de 3 % et on pourrait assister, après une longue période de progression, à une contraction de l'économie britannique dans les prochains mois. Les incertitudes de l'avenir immédiat sont probablement la raison pour laquelle Tony Blair a cru bon de dissoudre la chambre des Communes.
L'erreur, en France, c'est peut-être d'avoir conduit les réformes sans en avoir le financement, dans un contexte économique difficile, et dans une période où la France n'avait pas la capacité d'accrocher son wagon au train de la croissance des pays les plus dynamiques. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n'avait pas d'autre choix que d'aggraver la fracture sociale pour donner une chance à son programme réformateur. Il ne s'en relèvera pas.
Mais il n'y a aucune raison de s'inspirer d'une autre philosophie que le pragmatisme. Nous pouvons non pas copier mais adapter l'expérience britannique à la France et cesser de faire du libéralisme un épouvantail. Nous pouvons aussi adopter une autre politique économique, fondée sur l'intervention de l'Etat, comme l'ont fait avec succès certains pays européens. Le pire, c'est de ne faire ni l'un ni l'autre, de tenir deux discours, de lancer des réformes libérales et de défendre l'Europe sur la base d'une philosophie dirigiste, d'alterner action libérale et démangeaisons sociales, bref de n'avoir ni le courage, ni la patience, ni le stoïcisme nécessaires à la mise en œuvre d'une politique économique qui ne peut pas aboutir à des résultats en quelques semaines ou en quelques mois.
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