Au décours d'une bronchite
Un homme de 46 ans, pléthorique, consulte au décours d'une bronchite, pour une impotence fonctionnelle du membre supérieur gauche.
Ce patient tabagique (45 paquets/années) a les antécédents suivants :
- ictus laryngé ;
- intervention chirurgicale sur canal carpien à droite ;
- HTA sans retentissement du ventricule gauche traitée par IEC ;
- au niveau familial, son père est décédé des suites d'un AVC ischémique, et sa sœur a eu deux phlébites en post-partum.
Examen clinique
L'examen clinique permet de trouver :
1) une augmentation de volume du bras, de l'avant-bras gauche avec œdème du poignet et de la main associés, ainsi que du visage ;
2) une douleur provoquée intense lors de la palpation du creux axillaire gauche, et du muscle sternocléïdomastoïdien gauche ;
3) un aspect chaud et rouge de l'épaule gauche ;
4) une impossibilité quasi totale de la mobilisation du membre supérieur gauche ;
5) les réflexes ostéotendineux sont présents, tout comme les pouls radiaux et cubitaux gauche.
Le reste de l'examen clinique permet de révéler quelques crépitants des deux champs pulmonaires, ainsi qu'une légère fébricule.
Biologie
Devant ce tableau, un bilan biologique est demandé.
On retrouve une NFS, plaquettes normales, une VS à 13 mm à la première heure, des CPK à 95 UI (N : entre 18 et 215), une électrophorèse des protides avec une légère hypoalbuminémie à 41,8 g/l.
(N : entre 42 et 50), une augmentation des globulines à 9,9 g/l (N entre 5 et 9), les D-dimères à 1 019 ng/ml
(N : inférieurs à 500) ; le bilan hépatique est, quant à lui, normal.
Question 1
Compte tenu de ces différents éléments, quelles sont, en fonction de votre diagnostic, les explorations que vous demanderez ?
1) Une électromyographie à la recherche d'une polymyosite ;
2) un écho-Doppler du membre supérieur à la recherche d'une thrombose veineuse du membre supérieur ;
3) une radiographie osseuse de l'épaule à la recherche d'une ostéite.
Réponse 1
La bonne réponse est la 2.
Les éléments cliniques et biologiques orientent en premier lieu notre diagnostic vers une thrombose veineuse (l'élévation des D-dimères, l'œdème et le caractère inflammatoire de cette lésion). L'écho-Doppler permet de mettre en évidence une thrombose de la veine sous-clavière gauche.
Une angio-IRM est alors effectuée, afin de mieux évaluer les limites de cette thrombose.
Ainsi, il est possible de noter une thrombose de la
veine sous-clavière gauche, jugulaire interne gauche et humérale gauche.
Cette thrombose touche également une partie du tronc veineux brachio-céphalique gauche.
Question 2
Quels sont les facteurs « thrombotiques » que vous allez rechercher dans ce contexte ?
Réponse 2
Afin de répondre à cette question, nous nous référons à la triade de Virchow. Trois éléments favorisent en effet un accident thromboembolique :
1) la lésion traumatique ou chirurgicale de l'endothélium ;
2) la stase veineuse ;
3) la thrombophilie.
Dans notre cas, nous ne trouvons pas de facteur pouvant entraîner une lésion endothéliale (pas de traumatisme, ni de cathéter).
Une radiographie pulmonaire, suivie d'un TDM et d'une fibroscopie se sont révélés tout à fait normaux ; cela a permis d'éliminer une néoplasie pulmonaire.
Nous ne trouvons également pas de syndrome myéloprolifératif, ni même aucun autre élément pouvant orienter vers une étiologie néoplasique.
Dès lors nous avons recherché une éventuelle thrombophilie.
Cette recherche a permis de découvrir une mutation du facteur de Leiden V hétérozygote.
Thrombophilie
La thrombophilie représente 2 % des causes de thrombose veineuse (dans le cas de déficit en protéine C, S et antithrombine III), et 20 % dans le cas d'un déficit en facteur de Leiden V.
Les patients présentant des thrombophilies ont souvent des déficits modérés (souvent ce facteur représente de 30 à 50 % du facteur déficitaire).
L'existence de formes modérées s'explique par la prépondérance de formes hétérozygotes (l'homozygotie est liée à une forte létalité).
A côté des thrombophilies héréditaires classiques (antithrombine III, protéine III, protéines C et S), on trouve d'autres cas plus rares.
Le premier (à côté des formes moins classiques, comme la mutation du gène de la prothrombine, l'augmentation des facteurs VIII, XI, IX et l'homocystéine) est la résistance à la protéine C activée (rPCa).
Cette anomalie correspond à une mutation R506G de l'exon 10 du gène du facteur V.
La transformation de la liaison peptique retarde la dégradation du facteur Va par le PCa, et réduit l'efficacité de la protéine C vis-à-vis du facteur V.
Cette anomalie est en fréquence variable en fonction des populations étudiées.
Ainsi les Scandinaves sont les plus atteints (15 % dans certaines régions) ; les Asiatiques et les Africains en sont dépourvus.
En France, cette anomalie se retrouve à raison de 8 à 10 % de cas en fonction des régions.
La sévérité des thromboses veineuses, et leur fréquence varie en fonction du type de déficit, et de l'âge d'apparition de la première thrombose veineuse.
La mutation du facteur Leiden V s'exprime souvent par une thrombose veineuse à un âge avancé, ce qui constitue un risque de morbidité faible lors de la survenue du premier épisode.
Anticoagulant
Bien entendu, à la suite de la découverte d'un tel événement, un traitement anticoagulant doit être entrepris.
Ce dernier permet de réduire la survenue des thromboses veineuses. Le taux annuel de récidive thrombotique est évalué entre 5 et 15 % chez les patients porteurs d'une thrombophilie, et ce suite à l'arrêt du traitement anticoagulant.
La durée du traitement est difficile à énoncer (les différentes études réalisées se révèlent divergentes à ce propos).
Néanmoins, il semble, suite à la lecture d'une étude cohorte, que le risque de récidive était limité si on atteignait des valeurs cibles d'INR à 2,5.
Après six mois
Après six mois de traitement, le rapport bénéfice/risque chez ces patients était réduit (dans le cas d'un premier épisode de thrombose veineuse).
En conséquence, il semble consensuel actuellement d'effectuer des traitements d'une durée de six mois.
Au-delà, il paraît indispensable si le traitement est prolongé, d'obtenir une INR avec une cible plus basse pour éviter une risque hémorragique.
Suivi
Dans notre situation, il est parallèlement important d'effectuer un contrôle Doppler régulier (tous les trois mois), afin de s'assurer de la perméabilisation correcte du réseau thrombosé.
De plus, un dosage des D-dimères sera effectué à un et trois mois.
Il a en effet été démontré qu'une élévation du taux des D-dimères supérieur à 500 était le témoin d'une récurrence thrombotique.
Si ce taux au bout de trois mois est faible, les risques d'une non-récidive sont évalués à 95 %.
Toujours est-il que dans notre situation, il est impératif d'effectuer un bilan familial afin de rechercher la présence de cette anomalie (la sœur ayant eu deux épisodes de thrombose se doit d'être en premier lieu explorée).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature