LA PREVALENCE de l'insuffisance rénale aiguë (IRA) touche 5 % de tous les patients hospitalisés et de 30 à 50 % de ceux qui sont en unité de soins intensifs. Malgré les progrès, la mortalité et la morbidité de l'IRA restent élevées. Les lésions d'ischémie-reperfusion constituent la principale cause d'IRA dans les reins natifs et transplantés.
Dans l'IRA, on manque de biomarqueurs précoces, comme les troponines dans l'infarctus du myocarde à la phase aiguë ; on est donc face à des délais inacceptables pour la mise en route de traitements.
Dans la pratique clinique courante, l'IRA est typiquement diagnostiquée par la mesure de la créatinine sérique. Malheureusement, les taux de créatinine peuvent ne pas changer tant que 50 % de la fonction rénale n'est pas perdue ; de plus, ils ne dépeignent pas fidèlement la fonction rénale tant qu'un état d'équilibre n'a pas été atteint, ce qui peut prendre plusieurs jours.
Des travaux chez l'animal ont montré que l'insuffisance rénale d'origine ischémique peut être prévenue et/ou traitée par diverses techniques si tant est que ces mesures soient mises en œuvre très tôt après la lésion rénale.
Une dysfonction rénale aiguë peut survenir chez 40 % des adultes après chirurgie cardiaque, dont de 1 à 5 % nécessitent des dialyses et la mortalité est très élevée. L'IRA complique aussi 10 % des procédures de chirurgie cardiaque chez les enfants opérés pour une cardiopathie congénitale.
Dans un travail précédent, une équipe américaine a cherché à identifier des gènes dont l'expression pourrait être induite très précocement après l'ischémie dans des modèles animaux, gènes dont les produits protéiques pourraient servir de biomarqueurs de l'IRA débutante. Elle a ainsi identifié la NGAL (Neutrophil Gelatinase-Associated Lipocalin) qui est détectée très tôt après l'ischémie chez le rat et la souris. La même équipe (Jaya Mishra et coll.) a donc mis en place une nouvelle étude chez l'homme, dont les résultats sont publiés dans le « Lancet ».
La nouvelle étude a été conduite chez 71 enfants bénéficiant d'un by-pass cardio-pulmonaire pour correction d'une cardiopathie congénitale entre janvier et novembre 2004. Des échantillons sanguins et urinaires ont été recueillis au départ (valeur de base) puis à intervalles réguliers et rapprochés pendant cinq jours. Les échantillons urinaires ont été recueillis toutes les deux heures pendant douze heures puis toutes les douze heures ; les échantillons sanguins étaient prélevés deux heures après l'intervention, puis toutes les douze heures le premier jour, puis une fois par jour pendant cinq jours. Si l'acte chirurgical durait plus de douze heures, un échantillon urinaire était recueilli à la fin de l'intervention et était considéré comme l'échantillon de deux heures. Afin d'établir des valeurs normales de la NGAL, des échantillons urinaires et sanguins ont été recueillis chez des adultes sains volontaires. L'expression de la NGAL a été mesurée par méthodes Western Blot et Elisa.
Le critère primaire était l'insuffisance rénale aiguë, définie par une augmentation de 50 % de la créatinine sérique par rapport à la valeur de base.
Deux heures après la procédure.
Sans entrer dans les détails, les résultats sont les suivants :
- 20 enfants (28 %) ont développé une lésion rénale aiguë, mais le diagnostic par la créatinine sérique n'a été possible qu'entre un et trois jours après la chirurgie ;
- à l'opposé, les concentrations urinaires de NGAL sont montées d'une valeur basale moyenne de 1,6 μg/l à 147 μg/l deux heures après la chirurgie ;
- le taux sérique de NGAL est passé d'une valeur de base de 3,2 μg/l à 61 μg/l deux heures après la chirurgie ;
- l'analyse univariée a montré une corrélation significative entre la lésion rénale aiguë et : les taux urinaires et sériques de NGAL à deux heures ; la durée de l'intervention ;
- pour les valeurs urinaires de NGAL, la sensibilité était de 1 et la spécificité de 0,98.
« Les concentrations urinaires et sériques de NGAL représentent des biomarqueurs sensibles, spécifiques et hautement prédictifs de lésion rénale aiguë après chirurgie cardiaque », concluent les auteurs.
« Lancet » du 2 avril 2005, pp. 1231-1238 et 1205-1206 (éditorial).
Une étape à confirmer
Dans un éditorial, l'Allemand Stefan Herget-Rosenthal salue le travail de Mishra et coll. « qui pourrait être une étape cruciale vers la réduction de la mortalité » dans l'IRA. Toutefois, estime-t-il, comme avec tout nouveau biomarqueur, il ne faut pas généraliser ces résultats qui concernent une population très ciblée. « Des essais prospectifs dans de larges populations non sélectionnées, de différents âges, sont nécessaires pour valider ces résultats. »
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