UN HOMME né en 1928 a appris à chanter dès sa jeunesse. Il a progressivement acquis une formation de chef de choeur. Activité qu’il exerce depuis douze ans lorsque, le 10 février 1999, à 21 h 30, au cours d’une répétition, il a l’impression que plusieurs choristes chantent faux. Quelques minutes plus tard, il ne peut plus distinguer les différentes voix, et la polyphonie perd de sa netteté. Son acuité auditive reste normale, sa conscience est parfaite, et il ne met pas en doute la nature musicale des sons qu’il perçoit. Il ne présente par ailleurs aucun trouble de la compréhension ni de l’expression du langage.
Le lendemain matin, il identifie bien les sons de l’environnement ainsi que les voix de ses proches, mais, lorsqu’il veut écouter ses disques préférés, il n’entend qu’un bruit informe, laid et désagréable, ce qui rend les airs impossibles à identifier. Il s’aperçoit alors qu’il est incapable de chanter. Il ne maîtrise plus la hauteur de ses notes et ne peut pas se représenter mentalement les mélodies. Le 12 février, l’ORL qu’il consulte ne décèle aucune anomalie, et il est hospitalisé deux jours plus tard dans le service de neurologie du CHU de Besançon. Chez ce patient vasculaire tabagique et hypercholestérolémique, le scanner retrouve un infarctus temporal droit, l’écho-Doppler, une occlusion de l’artère coronaire interne droite. L’angiographie met en évidence une occlusion complète de cette artère peu après son origine, avec une bonne collatéralité, une inversion du sens circulatoire dans l’artère ophtalmique, une revascularisation de l’hémisphère droit par l’artère communicante antérieure.
Un traitement par héparine à dose efficace a été mis en place. Il a permis un début de régression des troubles perceptifs en quarante-huit heures : le patient reconnaît qu’il entend de la musique, mais ne peut toujours pas identifier les airs. En juin 1999, il est adressé au CHU de Caen pour un examen neuropsychologique.
A sa dernière consultation, le 16 mars 2006, le patient déclare qu’il perçoit bien la musique en tant que telle, qu’il en écoute avec plaisir, qu’il la lit normalement. Son principal handicap est qu’il chante faux.
Planum temporal droit.
Pour le Dr Bernard Lechevalier, «en raison de la pureté du syndrome clinique et de la petite taille de la lésion ischémique, notre observation est démonstrative du rôle du planum temporal droit dans la perception de la musique. L’absence d’aphasie démontre que le langage et la perception de la musique empruntent des voies neurologiques différentes». L’inventaire des fonctions musicales préservées peut être corrélé avec le respect de l’hémisphère gauche. La normalité de la perception et de l’expression du rythme s’explique par son traitement dans le cortex frontal gauche au niveau de l’aire de Broca, région concernée par la composante expressive du langage, notamment la segmentation de la production verbale motrice.
Le rythme musical est une fonction composite qui recouvre le mouvement ou mètre (mouvement de marche, de valse, etc.) et la perception de la segmentation du temps en subdivisions inégales ou rythme proprement dit : cela expliquerait que des lésions temporales antérieures droites ou bilatérales aient pu être incriminées dans le défaut de perception au niveau de l’hémisphère dominant, tandis que les autres composantes rythmiques sont traitées par l’hémisphère droit. Dans le cas de ce patient, ces deux composantes étaient intactes.
Aujourd’hui, le patient a pu reprendre la direction de ses choeurs. «Pendant cinq ans, une orthophoniste musicienne l’a guidé dans sa rééducation. Récemment, il a fait plusieurs crises d’épilepsie partielles complexes au volant de sa voiture, annoncées par une hallucination visuelle sous la forme d’une lueur colorée clignotante, mais sans hallucination auditive, suivie d’une désorientation spatiale avec agnosie des lieux», indique le Dr Lechevalier.
« Amusie isolée révélatrice d’une lésion ischémique du planum temporal droit », une communication des Drs Bernard Lechevalier, Lucien Rumbach, Hervé Platel et Jany Lambert à l’Académie de médecine.
L’amusie
Le terme d’amusie proposé par Knoblauch en 1888 désigne de façon globale les troubles de la perception et de l’exécution vocale et instrumentale. Il inclut aussi les troubles de la représentation mentale de la musique en rapport avec une lésion cérébrale et en l’absence de dysfonctionnements cochléaires et que ne peuvent suffire à expliquer des déficits moteurs, sensitifs ou sensorielles pas plus que des troubles de nature aphasique ou praxique. Le plus souvent, l’amusie fait partie d’un ensemble complexe comprenant d’autres signes neurologiques ou neuropsychologiques.
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