La situation des médecins à diplôme étranger

Un documentaire télé sur ces praticiens « venus d’ailleurs »

Publié le 23/05/2006
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LE FILM s’ouvre sur une photo. En noir et blanc. 1935, plusieurs personnes, en blouses blanches, tiennent une pancarte où il est inscrit : «Contre l’invasion métèque, faites grève.»

Béatrice Jalbert a promené sa caméra dans de nombreux centres hospitaliers de la région parisienne, en tendant son micro tantôt à ces médecins venus d’Europe de l’Est, du Maghreb, d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie, tantôt aux chefs de service qui s’expriment, plutôt librement, sur le sort de leurs collègues.

Parti pris.

Oui, le documentaire prend parti, convient la réalisatrice. «Je suis partisane, en effet, de ceux qui font un bon travail, qui sont motivés, qui aiment leur métier et qui ont envie d’être intégrés. Je voulais montrer de beaux parcours d’intégration réussis.» Il est certain que tous les médecins «venus d’ailleurs» qui apparaissent à l’écran sont archi-diplômés (même si l’estampille universitaire n’est pas 100 % française), archi-intégrés, archi-motivés et passionnés. «J’ai tendance à les défendre, insiste Béatrice Jalbert, car le système a été mal fait. La France a fait des erreurs, il faut le reconnaître, et tenter de les corriger.»

Le Conseil national de l’Ordre s’exprime, par deux voix. Celle de son président d’abord, le Pr Jacques Roland, dans son bureau. «C’est tout à notre honneur de pouvoir non seulement les former (les médecins étrangers), mais aussi, grâce à la situation de FFI, faire en sorte qu’ils (…) puissent rentrer dans leur pays dans des conditions de surformation épatantes sans qu’ils aient trop souffert financièrement.»

Puis celle du Dr Xavier Deau, conseiller de l’Ordre, chargé de la « formation et des compétences médicales », filmé lors d’un débat organisé courant janvier par le mouvement Construire ensemble, qui a soutenu l’Inpadhue (Intersyndicale nationale des praticiens à diplômes hors Union européenne). «Nous, pouvoirs publics, de droite comme de gauche, avons une méconnaissance totale du rôle effectif que vous avez dans nos hôpitaux (…) . On parle même de “stock” . C’est parfaitement humiliant. Pourquoi pas un coup de baguette magique, soit pour (vous) faire disparaître, soit pour (vous) qualifier immédiatement.»

Le documentaire aborde les récentes revendications menées par les Padhue, pour une reconnaissance de leur travail, pour un salaire décent. Médecins, mais hommes et femmes avant tout, ils expriment les difficultés éprouvées à quitter leur pays pour venir vivre en France, ce pays qu’ils aiment. «C’est toujours une déchirure de quitter son pays», dit ce praticien irakien, forcé de s’exiler pour les raisons politiques que l’on imagine. «On est partagé entre l’envie et l’incapacité d’y retourner.»

«Il faut aussi que nos pays d’origine sachent nous garder», note une femme médecin argentine. «(Dans nos pays) nous essayons de faire une médecine du premier monde avec des moyens du tiers-monde.»

On se rend compte, grâce à ces images, à quel point la nationalité de ces médecins peut parfois être un plus. «C’est un apport, de par leur façon de voir la vie, de concevoir le métier de médecin, de par leur culture», souligne le Pr Olivier Bouchaud, du service maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Avicenne. «Plus c’est divers, plus c’est riche dans un service», confirme le Pr Cabane . «Avoir un personnel polyglotte, c’est une richesse.»

C’est le cas du Dr Alioune Blondin Diop, d’origine sénégalaise, responsable de la consultation des migrants au sein du service de médecine interne du Pr Serge Herson, à la Salpêtrière, des populations précaires. S’occuper de populations précaires est pour lui un «rachat de culpabilité». «J’ai conscience que j’aurais rendu beaucoup plus service à mon continent», convient-il. Psychiatre d’origine algérienne à Avicenne, le Dr Taÿeb Ferradji comprend et se fait comprendre très bien de ses patients du service addictions et aide aux migrants. L’intégration et le racisme, il a dû «y passer» lui aussi. «Le moindre regard, la moindre allusion a une résonance, démultipliée. L’hostilité n’est jamais affichée, mais elle est là, on la ressent, et cela peut être ravageur.»«La médecine française a peur de l’étranger», estime Jacqueline Gozlan, la productrice du film. «C’est un milieu plutôt fermé.» Certains propos, tenus par des patrons hospitaliers, «par rancoeur et amertume», auraient d’ailleurs été censurés par la production, car jugés «indignes».

« Toubib or not Toubib ? », sur Public Sénat, le 27 mai à 22 h, le 28 mai à 18 h, le 29 mai à 11 h 30, le 3 juin à 14 h et le 4 juin à 9 h.

 > AUDREY BUSSIERE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7966