LA FRANCE paie un lourd tribut à l'alcoolisme, qu'il soit aigu ou chronique : « Vingt pour cent des personnes qui entrent dans un hôpital général ont une pathologie liée à l'alcool ; 30 % des hommes hospitalisés ont une pathologie que la consommation d'alcool induit ou complique ; 10 % des femmes hospitalisées, que ce soit dans des services de médecine, de gynécologie, d'orthopédie, de gériatrie, de cancérologie... ont une maladie liée à l'alcool », affirment, dans « Vins et santé »*, les Drs Pascal Possoz (alcoologue, Montpellier) et André Nicoul (animateur de centre de postcure). Pourtant, à la suite de l'étude de Serge Renaud, chercheur à l'Inserm (U63), le terme de « french paradox » est lancé et l'hypothèse d'un effet protecteur du vin est avancée. « Pour un niveau de facteurs de risque semblable à d'autres pays comme l'Angleterre et les Etats-Unis (cholestérol, hypertension artérielle, tabagisme, consommation de graisses saturées) , la France a une mortalité coronarienne et cardio-vasculaire plus basse ou beaucoup plus basse que la majorité des pays industrialisés », explique le chercheur.
Quarante pays, sauf la France.
Ses travaux sur l'effet de l'alcool dans l'agrégation plaquettaire le conduisent à la conclusion paradoxale qu'une consommation modérée de vin, qui a le même effet que l'aspirine, serait à l'origine de la faible mortalité coronarienne française. Son étude, publiée en collaboration avec Michel de Logeril dans « Lancet », en 1992, est confirmée par celle d'Artaud-Wild et ses collèges dans « Circulation », en 1993, selon laquelle la mortalité coronaire peut être expliquée par l'apport en graisses saturées et en cholestérol dans quarante pays du monde, sauf en France et en Finlande. S'ensuivent de nombreuses études pour tenter d'expliquer ce qui apparaît alors comme un paradoxe français, mais qui devrait plutôt être compris comme un « paradoxe méditerranéen ». Des données recueillies par l'OMS pour l'étude Monica (Monitoring Cardiovascular Disease) montrent que les statistiques officielles françaises ne prennent pas en compte les morts subites et sous-évaluent donc les décès coronaires. Lorsqu'elles sont intégrées, comme dans l'étude Monica, le taux des événements coronariens (mortalité et morbidité) sont sensiblement identiques en France, dans les trois centres de l'étude (Toulouse, Strasbourg et Lille), à celui des régions limitrophes dans les pays voisins. En revanche, une comparaison des trois centres français met clairement en évidence une incidence nettement plus faible à Toulouse que dans les deux autres centres.
Les habitudes alimentaires dans le pourtour méditerranéen semblent jouer un rôle, y compris la consommation modérée de vin pris en cours de repas. Une deuxième étude de Serge Renaud est publiée dans « Lancet » : des patients ayant présenté un premier infarctus du myocarde sont divisés en deux groupes. Le premier a suivi un régime traditionnel, le second a adopté un régime dit crétois, sans beurre, sans crème, sans lait mais avec peu de viande, beaucoup de légumes, de fruits, de pain, de céréales, et, pour remplacer certains ingrédients utilisés en Crète (noix, escargots...), une margarine riche en acide alphalinolénique. Le tout est bien sûr agrémenté de vin et de fromage. Après 27 mois de suivi, les résultats sont si concluants que l'essai est arrêté : les événements cardio-vasculaires majeurs et les décès d'origine cardiaque ont diminué de moitié dans le groupe 2.
Depuis cette étude, le rôle bénéfique du régime crétois semble avoir été établi. Quid de l'effet protecteur du vin ? Plusieurs études ont retrouvé une relation inverse significative entre la consommation d'alcool et la maladie coronaire. Une réduction de 30 % des hospitalisations pour infarctus du myocarde, par exemple, a été constatée chez des hommes et des femmes consommant de trois à cinq verres par jour. Les résultats sont en partie expliqués par les effets propres du vin. Certains sont communs à tous les alcools, comme la diminution de l'agrégation plaquettaire et donc des phénomènes de thrombose et l'augmentation des taux de lipoprotéines de haute densité (HDL), des Apo A1 et Apo A2, qui jouent un rôle essentiel dans le transport du cholestérol et dans la prévention de l'athérosclérose. D'autres effets plus spécifiques au vin lui conféreraient un effet protecteur supérieur aux autres boissons alcoolisées. Les polyphénols - quelque deux cents, de type flavonoïde (quercetine) ou non flavonoïde (resvératrol) - qu'il renferme sont de puissants antioxydants qui ralentissent l'oxydation des LDL, exercent un effet « capteurs de radicaux libres » et augmentent la résistance des vaisseaux.
Consommation modérée et régulière.
Mais ces effets ne s'observent que pour des consommations modérées : l'augmentation des quantités quotidiennes s'accompagnent d'une réduction du risque cardio-vasculaire pour des apports moyens allant de 1 à 35 g/j (de 2 à 4 verres) et une remontée au-delà (courbe en J). Modérée, la consommation doit aussi être régulière, quotidienne ou quasi quotidienne, pour être associée à des effets bénéfiques. L'idéal est de prendre son verre de vin au milieu de chaque repas afin qu'il soit utilisé de manière optimale par l'organisme. Hommes et femmes ne sont pas égaux devant le risque : même modérée, la consommation est déconseillée chez la femme enceinte, en raison du risque de syndrome fœto-alcoolique.
Enfin, d'autres vertus ont été attribués au vin : prévention de certains cancers, diminution du risque de développer une démence ou une maladie d'Alzheimer. Cependant, comme le fait remarquer le Dr Jean-Claude Ruf, « le vin doit être considéré comme un produit sain entrant dans une alimentation saine, et non comme un médicament ».
* 10e année, Éditions du voyage, 448 pages, 18 euros.
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