Une fois achevé, le réquisitoire lu sans emphase par le Dr Aquilino Morelle a été applaudi par les journalistes présents. Le 15 janvier dernier, l’onde de choc soulevée par l’affaire Médiator® débordait le champ médiatique. Il y aura bien pour la chaîne du médicament un avant et un après le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le cas Mediator®. Il instruit en effet un procès et désigne sans langue de bois des coupables. En premier lieu les « laboratoires Servier qui dès l’origine du médicament ont poursuivi un positionnement du Médiator en décalage avec la réalité pharmacologique ». Quant aux institutions chargées de la police sanitaire, elles ont failli à leur mission. Selon les rapporteurs « l’agence chargée du médicament a été inexplicablement tolérante à l’égard d’un médicament sans efficacité thérapeutique réelle ». Le système de pharmacovigilance plie sous de lourdes accusations. Il est jugé « incapable d’analyser les graves risques apparus en terme de cardiotoxicité du Médiator ». Le pouvoir politique ne sort pas indemne. Les différents ministres disposaient d’une « arme fatale » grâce au déremboursement des médicaments à service médical rendu insuffisant. Dans le cas du Médiator®, le résultat a été à l’inverse de ceux recherchés.
Au-delà de ces principaux coupables, des médecins, des professeurs sont nommément cités pour des faits, des prises de décisions jugées inexplicables. Des pressions auraient été exercées afin d’écarter la diffusion de certaines informations. À partir de l’exemple du Médiator®, un système est implicitement dénoncé, celui où les conflits d’intérêt sont loin d’être gérés dans la plus grande transparence. Ce tableau de mœurs ne serait pas complet sans la touche finale, celle d’une administration aux abois qui règle en public ses affaires de famille. Le secrétaire général « a mis gravement en cause gravement les compétences managériales du directeur général ». Avec un sens de la litote, « la mission ne peut que constater la crise ainsi ouverte »…
Mais comment en est-on arrivé à cette nouvelle affaire de santé publique ? Pourquoi les barrières mises en place pour écarter des tels dysfonctionnements n’ont-elles pas été opérationnelles ? Le rapport ne donne aucune interprétation. Au lecteur, au citoyen de se forger sa propre opinion. Il évoque toutefois à de multiples reprises le caractère inexplicable, inexcusable, incompréhensible de certaines prises de décision.
Sauf peut-être celle du laboratoire Servier qui aurait mené « dès l’origine une stratégie de positionnement du Médiator® en décalage avec la réalité pharmacologique de ce médicament », estiment les rapporteurs de l’Igas. « Le benfluorex (Médiator®) doit être considéré comme le précurseur de la seule substance véritablement active : la norfenfluramine », un dérivé de l’amphétamine. Cette évidence pharmacologique pour les auteurs du rapport sera systématiquement occultée. Le laboratoire défend une autre option. Il distingue la fenfluramine (Ponderal®, Isoméride®) une classe pharmacologique propre de la famille des amphétamines. Ces substances sont certes anorexigènes, mais dépourvus des effets indésirables graves de l’amphétamine. Quant au benfluorex, il disposerait d’un statut spécifique au sein des fenfluramines grâce à ses propriétés spécifiques sur le métabolisme lipidique et glucidique. Cette défense élaborée par le laboratoire lui permettra d’échapper aux mesures d’interdiction frappant cette classe de médicaments en 1995. C’est la première d’une longue série d’occasions manquées, mais aussi l’illustration d’« une grave incohérence » dans l’administration. Cette année-là, la Direction générale de la santé (DGS) sous la responsabilité de Jean-François Girard interdit le recours au benfluorex dans les préparations magistrales, parce qu’il est un anorexigène. Dans le même temps, « sa commercialisation reste autorisée sous forme de spécialité pharmaceutique par l’agence du médicament, parce que celle-ci ne le considère pas comme un anorexigène ».
Mais cette bévue n’est qu’une des manifestations de « l’incompréhensible tolérance de l’agence à l’égard du Médiator® ». Le rapport signale en effet une série de faits troublants. Lors de sa mise sur le marché en 1976, il bénéficie de deux indications, celles d’un adjuvant au régime dans les troubles du métabolisme des lipides (hypertriglycéridémies) et du métabolisme des glucides (diabète avec surcharge pondérale). À la suite d’une nouvelle validation le 22 avril 1987, l’indication relative aux hypertriglycéridémies est seule retenue. Celle relative au diabète est écartée. Or, cette décision ne sera pas appliquée pendant une décennie. On invoque alors la présentation imminente de nouvelles études. Or, en 1995, une commission valide la mesure de 1987. L’AMM n’est toujours pas modifiée. Elle intervient enfin le 16 avril 1997… avant d’être annulée le 5 juin 1997. « La firme recevra un courrier l’autorisant à maintenir la seconde indication », lit-on dans le rapport.
La bataille des indications n’est pas pour autant clôturée. Une nouvelle étude menée dans le diabète incite le laboratoire à demander un changement de statut : de traitement adjuvant, il serait proposé comme traitement de premier rang. L’Agence refuse l’extension, mais admet in fine en juin 2001 l’indication initiale d’adjuvant au régime du diabète.
Les graves défaillances du système de pharmacovigilance
Mais comment qualifier les errements du système de pharmacovigilance ? Le rapport n’hésite pas à évoquer de graves défaillances. Le constat dressé est, il est vrai, accablant. Alors que le benfluorex était sous enquête officieuse depuis mai 1995, puis officielle en mai 1998, jamais son retrait n’aura été demandé du seul fait de sa parenté chimique avec les fenfluramines. Pourtant, les signaux d’alerte n’ont pas manqué. Outre les alertes répétées sur le mésusage, le 10 février 1999, un cas de valvulopathie aortique est notifié au centre régional de pharmacovigilance de Marseille. Un cas d’hypertension artérielle pulmonaire est signalé en juin 1999. Au regard des nombreuses anomalies recensées en 1999, la mission estime que le retrait du Médiator® aurait dû être décidé dès cette année-là. La situation ne s’améliore pas au début des années 2000 jusqu’en 2005. La mission estime « incompréhensible l’inertie puis les propositions inadaptées de la pharmacovigilance ». En 2003, de nouveaux cas de valvulopathies conduisent au retrait du médicament en Espagne et en Italie. Le système de pharmacovigilance français n’en est pas tenu informé.
Comment expliquer cette séquence ? Pour une fois, les auteurs du rapport avancent une interprétation. Alors qu’habituellement, le principe de précaution vise à protéger le patient, ici « il semble que le doute profite au maintien d’un médicament sur le marché ».
Last but not least, alors que la Cour des comptes pointait en 2006 la réactivité insuffisante de l’Afssaps en matière de pharmacovigilance en prenant l’exemple du Médiator®, elle répond aux magistrats de la rue de Cambon en leur signalant le retrait du médicament qui n’interviendra pourtant qu’en 2009.
Cette histoire qui s’est déroulée sur 35 ans est appelée à connaître de nouveaux rebondissements. Elle met à mal les compétences de certains experts. Deux anciens présidents de commission d’AMM reconnaissent avoir été roulés dans la farine. Elle a contraint Jean Marimbert, le directeur général à la démission, le ministre du Travail et de la Santé à reconnaître dans ce dossier une responsabilité. Outre une refonte du système de pharmacovigilance, en reconnaissance des victimes, elle pointe au final non pas l’excès, mais le manque de principe de précaution. Dure leçon pour la santé publique en France.
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