LA RÉFORME DE LA MÉDECINE du travail entamée en 2000 n'en finit pas de rebondir. Dernier épisode : une circulaire d'application, datée du 7 avril, dans laquelle les médecins ont eu la surprise de découvrir une nouvelle méthode de calcul des cohortes de salariés placés sous leur responsabilité.
« Suivant la nature du contrat de travail et la durée contractuelle de travail, chaque salarié contribue différemment à l'effectif de l'établissement », ont-ils lu, le texte précisant que « les salariés titulaires d'un contrat à durée indéterminée à temps plein comptent chacun pour un salarié », tandis que les salariés embauchés en CDD ou en contrat de travail intermittent, ou encore les salariés à temps partiel sont pris en compte « au prorata de leur temps de présence au cours des douze mois précédents » pour les deux premières catégories et « au prorata du temps de travail inscrit dans le contrat » pour la troisième.
« C'est de l'abattage ».
Une nouveauté qui fait bondir le Dr Bernard Salengro, président du Syndicat général des médecins du travail (Sgmt) : « Jusqu'à présent, explique-t-il, chaque salarié comptait pour un. Va-t-on se mettre à prendre en charge des demi-bonshommes ou des quarts de bonhomme selon qu'ils travaillent à mi- ou à quart-temps ? »
« Un temps partiel à 50 %, vous ne l'examinez pas à 50 %, vous l'examinez comme tout un chacun. Si vous suivez vingt personnes à mi-temps, elles vont être comptées pour dix et cela fera dix personnes de plus à l'effectif que vous êtes susceptible de suivre », renchérit le Dr Lionel Doré, représentant du Syndicat national des professionnels de santé au travail (Snpst) au Conseil supérieur des risques professionnels.
La pilule est d'autant plus dure à avaler que la réforme en cours, via un décret publié l'été dernier, a déjà fait passer de 2 700 à 3 300 le nombre plafond des salariés placés sous la surveillance d'un médecin du travail. A l'époque, et alors que la fréquence de la consultation médicale périodique des salariés s'allongeait de 12 à 24 mois, les syndicats avaient crié à la « démédicalisation de la santé au travail » - « C'est de l'abattage », commente une nouvelle fois le Dr Doré.
Les dernières dispositions n'arrangent rien évidemment. Car le Dr Salengro a pris sa calculette et estimé que la pondération des temps partiels va aboutir... au doublement de l'effectif plafond. « Chaque médecin pourra suivre jusqu'à 6 400 personnes au lieu des 3 300 annoncées. Dit ainsi, cela peut paraître abstrait mais être en permanence responsable de 6 400 personnes au niveau de leurs conditions de travail et de leur surveillance médicale, c'est tout simplement impossible. » Les estimations de Lionel Doré ne vont pas aussi loin - « Peut-être atteindra-t-on les 4 000 salariés par médecin, un peu plus avec les CDD » - mais son analyse est tout aussi catastrophiste : « Nous contestions formellement le plafond de 3 300, déjà hymalayen. Or le voilà dépassé dans des limites que nous ne connaissons pas ! »
Cette mauvaise surprise jette une ombre sur une autre diposition, jugée positive par les médecins du travail, de la circulaire du 7 avril : la reconnaissance d'un « temps connexe » dans leur activité, en sus du temps clinique et du temps d'action en milieu de travail. « Cette mesure reflète la réalité : les médecins se déplacent, suivent des formations, rédigent des mémoires... Autant de choses qui prennent du temps mais qui n'étaient pas explicitement prévues dans le décret de l'été dernier. La circulaire permet d'ouvrir la discussion », explique le Dr Doré, qui déplore que les pouvoirs publics « reprennent d'une main ce qu'ils donnent de l'autre ».
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