CETTE FOIS, Jean-Pierre Raffarin s'est fâché tout rouge : sans doute conscient de sa bévue, le ministre de l'Intérieur a pris la parole lors du petit déjeuner interministériel de lundi matin, alors qu'on ne lui demandait rien. Quand il a osé dire que ses propos ne concernaient pas les hommes, mais la gouvernance du pays, le chef du gouvernement l'a mis au pied du mur. Il s'en est suivi un bafouillis embarrassant (Villepin), des éclats de voix (Raffarin) ; bref, une querelle que les autres ministres ont eu du mal à apaiser, ne fût-ce que provisoirement.
Facile à sacrifier.
On peut comprendre M. Raffarin : il croyait, après le départ de Nicolas Sarkozy, qu'il aurait enfin la paix et qu'il allait diriger un gouvernement, enfin, docile. Il découvre que Dominique de Villepin n'est pas moins arrogant que son prédécesseur, et qu'il est prompt à donner en pâture au peuple le chef du gouvernement, une fois encore considéré par les siens comme un personnage facile à sacrifier. Il sait bien que, si le ministre de l'Intérieur se conduit de la sorte, c'est probablement parce que Jacques Chirac lui a glissé l'idée dans l'oreille. Et, derrière Villepin, c'est Chirac qu'il somme : « Suis-je Premier ministre ou non ? » Le chef de l'Etat, qui ne veut pas être pris de court, lui confirme sa délégation de pouvoirs.
En apparence, il a désavoué Villepin, qui s'est « carbonisé », comme le dit Sarkozy, ravi de torpiller un concurrent et, pour une fois, de voler au secours d'un Premier ministre qu'il n'a cessé de harceler quand il était lui-même ministre. Mais sans doute M. Chirac voulait-il faire passer un message au bon peuple de France : inutile de voter « non » puisque, de toute façon, Raffarin s'en va le 30 mai. On ne pouvait imaginer manœuvre plus grossière : ce « non », inéluctable semble-t-il, a plongé la classe politique dans une telle panique que les calculs sont réduits à des réflexes de Pavlov et que la dignité du pouvoir sombre dans des comportements de gougnafier.
On pouvait attendre de M. Chirac qu'il eût un minimum d'égards pour un homme qu'il a beaucoup mis à contribution, qu'il a maintenu à son poste au-delà de son espérance de vie en tant que Premier ministre, et dont il a cru qu'il se laisserait effacer de la scène politique sans piper mot. On pouvait espérer de Dominique de Villepin, qui ne semble pas comprendre que si son impatience est si grande, c'est tout de même parce que le chef de l'Etat a voulu garder Jean-Pierre Raffarin au lendemain des élections régionales, puis européennes, qu'il se contrôlerait et que, connaissant son patron, il ne se jetterait pas dans une folle équipée sur un simple clin d'œil. On osait croire que Nicolas Sarkozy, qui a décoché plusieurs carquois de flèches contre Jacques, Jean-Pierre, Dominique et d'autres, se tiendrait coi. Mais non, il a n'a pas résisté au plaisir d'allumer le feu au pantalon de Villepin et de le déclarer carbonisé.
NOS AMIS DE L'UE DOIVENT NOUS OBSERVER AVEC LE REGARD DU PALÉONTOLOGUE POUR UNE ESPÈCE ANIMALE RARE ET PÉRIMÉE
Ils ne gouvernent ni ne prévoient.
L'anecdote n'aura pas alimenté plus d'une journée les potins de Paris. Mais si nos dirigeants s'imaginent qu'une telle querelle s'oublie vite, ils se trompent. L'opinion en gardera l'idée sous-jacente que, décidément, cette équipe ne sait ni gouverner ni prévoir. Que M. Chirac est tout de même un peu léger s'il a poussé Villepin vers le gouffre ; que Villepin n'est pas futé, qui s'est livré à cet exercice périlleux sans filet de sécurité ; que Raffarin, à force d'être sans cesse harcelé, humilié, manipulé, se transforme en victime, donc en personnage sympathique ; que si les uns et les autres croient que c'est de cette façon qu'ils vont obtenir le « oui » au référendum, ils se trompent.
Jadis, dans les sommets européens, Lionel Jospin et Jacques Chirac exposaient leurs différends devant un Schröder médusé ; aujourd'hui, les gouvernements de l'Union doivent nous observer avec l'intérêt du paléontologue pour une espèce animale particulièrement rare, désuète et bizarre. Après l'esclandre de lundi dernier, ils ont sans doute renoncé au succès du « oui » en France.
Quelle image d'eux-mêmes nos dirigeants donnent-ils au peuple qu'ils veulent convaincre d'adopter le traité constitutionnel européen ? Quelle image d'elle-même la France donne-t-elle au reste de l'Union ? Sommes-nous encore un pilier de la construction européenne ? Pouvons-nous encore compter quand un Villepin, qui nous joue toute la journée l'air de la grandeur et a été le chef de notre diplomatie, se conduit comme un Gavroche, content d'avoir fait un croche-pied à sa grand-mère ? Mais qu'au moins il fasse son bilan ! Il a proposé et obtenu une dissolution désastreuse pour la droite en 1997, il a réussi à déclencher aux Etats-Unis la vague la plus haute et la plus durable de francophobie et, maintenant, il saborde le gouvernement auquel il appartient. Qu'attend-il pour démissionner ? Mais c'est juste le contraire et on peut en prendre le pari : malgré tout ça, il se voit déjà à Matignon dans moins de 40 jours. Et le pire, c'est qu'il y sera peut-être.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature