ON ESTIME qu'il y a entre 500 000 et 1 million d'individus qui souffrent d'insuffisance cardiaque (IC) en France, et que cette pathologie, dont la fréquence augmente avec les années, est responsable de 150 000 hospitalisations et de 30 000 à 50 000 décès par an dans notre pays.
Deux raisons expliquent l'augmentation de la prévalence : le vieillissement de la population et la réduction de la mortalité par cardiopathie ischémique, laquelle peut conduire, à plus ou moins long terme, à l'insuffisance cardiaque. Cette augmentation de fréquence a des conséquences économiques notables, puisque les dépenses liées à l'IC représentent 1 % des dépenses de santé en France, dont les deux tiers sont liés à l'hospitalisation. « L'épidémiologie de l'insuffisance cardiaque (est) peu connue en France, souligne le Pr Christophe Tribouilloy, en particulier celle de l'IC à fraction d'éjection conservée. Les connaissances sont fondées sur les travaux des essais thérapeutiques, sur des études hospitalières et sur quelques études de population ». D'où l'intérêt de l'étude prospective ETICS (1) menée en 2000 et dont les objectifs étaient d'établir l'incidence hospitalière de l'IC dans la Somme, de déterminer les causes et la proportion d'insuffisants cardiaques à fonction systolique conservée, ainsi que d'analyser le traitement des patients hospitalisés pour une première poussée d'IC.
Des patients plus âgés.
L'étude a été menée dans 11 centres (publics et privés) et a inclus 799 patients hospitalisés pour une première poussée d'IC.
« Le profil de la population de cette étude, précise Ch. Tribouilloy, ne correspond pas à celui très sélectionné des essais thérapeutiques sur l'IC dans lesquels les sujets sont plus jeunes et les femmes, sous-représentées. En effet, 60 % des patients avaient plus de 75 ans dans notre étude et 77 %, plus de 60 ans. Mais la population souffrant d'insuffisance cardiaque augmente et les patients seront de plus en plus âgés. Leur prise en charge devra donc être codifiée au travers d'essais thérapeutiques spécifiques. »
Fraction d'éjection.
La fraction d'éjection du ventricule gauche (Fevg) a été estimée chez 82,8 % des patients et, chez 55 % d'entre eux, elle était supérieure à 50 %. « Cette donnée est très intéressante, souligne Ch. Tribouilloy, car la plupart des médecins considèrent qu'il y a IC quand le cœur se contracte mal et quand la Fevg est diminuée. On s'aperçoit ici que la majorité des insuffisants cardiaques hospitalisés ont une Fevg conservée. Or, si la thérapeutique de l'insuffisance cardiaque à Fevg basse est très bien codifiée, car presque tous les essais thérapeutiques lui sont consacrés, celle de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection conservée ne bénéficie pas de recommandations claires, même si on utilise les mêmes médicaments. C'est dire l'intérêt de mener des essais thérapeutiques incluant des patients plus âgés à Fevg conservée. »
Quant aux étiologies, pas de surprise dans ETICS. La cardiopathie ischémique (40 % des cas), l'hypertension artérielle (39 %) arrivent en tête suivies des myocardiopathies dilatées et des valvulopathies. Ces résultats sont très proches des autres données épidémiologiques françaises et américaines. « Le rôle de la cardiopathie ischémique a peut-être été sous-estimé dans ce travail, souligne Ch. Tribouilloy, car la réalisation d'une coronarographie est loin d'être systématique dans une population âgée, comme dans toutes les études épidémiologiques de ce type. »
Les facteurs de risque cardio-vasculaire le plus fréquemment trouvés étaient l'hypertension artérielle (62 % des patients), le tabagisme (35 %), les dyslipidémies (27 %), le diabète (25 %).
Un facteur déclenchant était identifié chez 72 % des patients et il s'agissait dans 40 % des cas d'un trouble du rythme supraventriculaire.
Médicaments.
L'étude ETICS a également évalué les pratiques médicamenteuses. « S'il est admis aujourd'hui, explique Ch. Tribouilloy, que l'association thérapeutique reine dans l'insuffisance cardiaque par dysfonction systolique repose sur les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les bêtabloquants, on s'est aperçu en 2001 que 60 % des insuffisants cardiaques ne recevaient pas de bêtabloquant un an après l'hospitalisation. L'insuffisance cardiaque est encore donc insuffisamment traitée en France. »
Dans l'étude ETICS, la mortalité hospitalière a atteint 5,3 %, la survie à un an, 70 %, et la survie à trois ans, 51 %. L'insuffisance cardiaque demeure une pathologie très grave, dont le pronostic se révèle souvent plus sévère que celui d'un cancer.
La prise en charge reste donc à améliorer. « Et, conclut Ch. Tribouilloy, il paraît aujourd'hui nécessaire d'inclure dans les essais thérapeutiques des patients plus âgés à fonction systolique préservée afin d'établir une réponse adaptée à leur prise en charge. »
D'après un entretien avec le Pr Christophe Tribouilloy , chef de service de cardiologie, CHU d'Amiens.
(1) Béguin M., Houpe D., Peltier M., Chapelain K., Lesbre J.-P., Tribouilloy C. Epidémiologie et causes de l'insuffisance cardiaque dans la Somme. Résultats de l'étude ETICS (Etude épidémiologique et thérapeutique de l'insuffisance cardiaque dans la Somme). « Arch Mal Coeur » 2004 : 97 ; 113-119.
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