DE LOUIS MASSIGNON à Vincent Monteil, les experts français de l'islam ont produit une œuvre considérable, qu'ils n'auraient pas accomplie s'ils n'avaient cultivé leur intérêt, leur amour, pour ce qui est musulman. Ce sont donc des historiens ou des savants qui, les premiers, ont rapproché la France d'une civilisation dont les attraits sont multiples. Mais souvent, nous dit Martine Gozlan, leur intérêt pour l'islam (auquel certains se sont convertis) s'est transformé en passion exclusive au point qu'ils en ont ignoré des excès, commis au nom de la religion mais que la religion n'a jamais prescrits.
Or il eût été plus juste qu'ils soulignent eux-mêmes que des comportements inspirés par une fausse interprétation du Coran portaient atteinte à l'islam qu'ils aimaient tant.
Ils l'ont fait rarement, sans doute parce que la fascination les paralysait. En quelques lignes, Martine Gozlan raconte, par exemple, une rencontre improbable entre Massignon et André Chouraqui, futur maire de Jérusalem et traducteur du Coran. Quatre mois après la création de l'Etat d'Israël, Massignon n'y voyait qu'une aberration historique. Devant un jeune Français juif (qui, nous dit-elle, se contenta de hausser les épaules), le grand historien a fait la preuve de son ignorance, de son indifférence, de son incapacité à inscrire la Shoah, produit le plus tragique et le plus significatif de la barbarie, non seulement dans le courant historique qui a conduit à la création de l'Etat juif, mais aussi dans l'histoire d'une humanité qui cherche encore à tâtons un code des relations humaines.
De même quelques uns de nos savants attirés par l'islam ont-ils été sensibles à ce monde d'hommes qui leur a semblé plus viril parce que les femmes en étaient (en sont encore) exclues. Avec le courage qu'on lui connaît, Martine Gozlan ne craint pas d'être politiquement incorrecte. Elle indique, par exemple, que l'intolérance de Jean Genet pour les Israéliens et pour les juifs n'était pas indépendante du fait qu'il a eu un amant palestinien.
Il n'y a rien, dans cet essai, court, agréable et d'un style irréprochable, que les lecteurs les plus avertis n'aient vaguement su. Mais « le Désir d'islam » précise beaucoup de points extrêmement utiles à la compréhension des choix politiques de la France et de sa façon de répondre aujourd'hui au défi du terrorisme. Que l'on ne s'étonne plus de l'étrange relation que les altermondialistes entretiennent avec Tariq Ramadan ; que l'on ne s'abandonne pas à la colère quand Roger Garaudy devient révisionniste ; que l'on ne crie pas à l'incohérence quand des athées s'extasient devant l'islam, ou défendent avec fanatisme le port du voile ou même de la burka. Des Français érudits leur avaient préparé le terrain.
C'est un syndrome français : l'intelligence qui révèle un monde peut aussi être aveugle à ce qui risque de contrarier cette sympathie qui lui a permis de le découvrir.
* « le Désir d'islam », Grasset, 135 pages, 9 euros.
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