THEATRE - « Le Mariage », de Nikolaï Gogol

Une férocité à la Daumier

Publié le 01/12/2010
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Crédit photo : DR

CE « MARIAGE » est un spectacle idéal de fête : on rit, on admire le jeu des comédiens, les adolescents comme les plus grands y trouvent leur bonheur. Aussi, dépêchez-vous de réserver vos places ! Gogol est l’un des plus grands des écrivains de langue russe du XIXe siècle et il est souvent heureux au théâtre, car son intelligence, sa malice, sa férocité sans superbe, font merveille. Le Français avait présenté il y a quelques saisons un « Révizor » magnifique dans une mise en scène de Jean-Louis Benoit et Denis Podalydès dans le rôle-titre. On y songe, car les options sont assez proches.

Lilo Baur, jeune femme née en Suisse, grande comédienne de langue anglaise (avec Simon McBurney notamment) et metteur en scène très fin (elle a monté des nouvelles de Tchekhov l’an dernier aux Abbesses), choisit un trait à la Daumier, mais sans appuyer. Adossée à une excellente équipe artistique (décor, costumes, lumières, son, traduction), elle dirige à merveille les épatants Comédiens-Français qui s’en donnent à cœur-joie et communiquent leur allégresse au public. Pourtant, il y a une noirceur terrible dans la comédie, et Lilo Baur la conserve.

Le sort de la jeune Agafia (Julie Sicard, sensible et touchante), comme celui qu’on devine avoir été celui de sa tante Anna (Catherine Sauval), sont d’une cruauté profonde et on le ressent, sans que le rire, jamais, ne soit étouffé. Ce que réussit magnifiquement Lilo Baur, c’est à aller au fantastique (qui pointe toujours chez Nikolaï Gogol), jusqu’à un surréalisme débridé et un burlesque moderne (à la Chaplin, à la Keaton). Les garçons sont très bons dans ce registre : Kapilotadov, qui veut se marier (Nâzim Boudjenah, nouveau venu et très bon), Plikaplov (Laurent Natrella, parfait), qui tire les ficelles. La galerie des autres prétendants est irrésistible : un huissier engoncé et inquiétant (Nicolas Lormeau), un vieux marchand libidineux (Yves Gasc qui joue aussi le valet porté sur la vodka du célibataire principal), un officier fat (Jean-Baptiste Malartre), un marin raseur (Alain Lenglet). Évidemment, il y a une marieuse dans l’histoire. Ces marchandages ne se font pas sans intermédiaire : hallucinante (et vous ne la reconnaîtrez pas tout de suite), l’aristocratique Clotilde de Bayser compose une Fiokla extraordinaire. Ajoutons la jeune servante de la maison d’Agafia (Géraldine Rodriguez) et vous avez cette galerie de personnages, cette histoire drôle mais qui est aussi acide critique des manières russes, très bien traduite, avec un naturel enlevé, par André Markowicz. À déguster d’urgence !

Théâtre du Vieux-Colombier (tél. 01.44.39.87.00 et 01), à 19 heures le mardi, à 20 heures du mercredi au samedi, en matinée le dimanche. Jusqu’au 2 janvier. Durée : 1 h 50 sans entracte.

ARMELLE HÉLIOT

Source : Le Quotidien du Médecin: 8867